Aux sources du jeu : 1 – La mécanique

Pour présenter un jeu de société, on a coutume de distinguer deux ingrédients principaux : le thème et la mécanique. Les deux aspects sont fréquemment détaillés dans les critiques de jeux par exemple.

Mais, je vous le demande : Qu’entend-on au juste par « mécanique » de jeu ? Vaste sujet qui ne met personne d’accord et qui me permet de faire un article pêle-mêle de trucs qui me trottent dans la tête.

En dehors du jeu

Écartons nous un instant du domaine ludique et jouons aux encyclopédistes. Qu’est-ce que la mécanique ?

Le canard automate de Vaucanson

Le canard automate de Vaucanson

La mécanique fait d’abord référence à la conception et l’étude des machines. Une machine c’est un automate constitué de pièces qui, suite à une commande, va effectuer l’action programmée. On peut déjà noter plusieurs caractéristiques propres aux machines qui vont nous intéresser par la suite :

  • Tangible : une machine peut être touchée, manipulée.
  • Lisible : on peut décortiquer une machine et prévoir ses réactions en analysant son mécanisme. Plus fort, on observe directement la chaîne de causes et de conséquences à l’œuvre : on voit concrètement les rouages tourner.
  • Prévisible : pour une commande donnée, on attend le même résultat à chaque fois.

D’abord réservée aux machines, la mécanique s’est ensuite étendue aux systèmes, jusqu’à devenir une large branche de la physique. On parle ainsi de « mécanique newtonienne » ou de « mécanique quantique ». La mécanique est alors l’ensemble des lois (ou principes) qui régissent un système, ses mouvements et ses équilibres. Là aussi, on peut noter certains aspects qui nous intéresseront pour la chose ludique :

  • Universel : les lois de la physique s’appliquent à tout objet du système.
  • Décrit : les physiciens s’appliquent à exprimer les lois de la nature sous une forme intelligible.

Je m’arrête là pour la mécanique au sens large, j’espère que vous me suivez toujours.

La mécanique de jeu

Si on s’appuie sur les exemples précédents, on entrevoit ce que ce terme peut signifier dans le domaine ludique. Même si on pourrait en débattre des heures, je propose cette définition :

La mécanique d’un jeu c’est l’ensemble des procédés qui font évoluer ce jeu en fonction des actions des joueurs.

À ne pas confondre avec les règles, qui sont l’expression littérale de ces procédés pour les rendre compréhensibles et utilisables des joueurs. A ne pas confondre non plus avec les pratiques de jeux qui sont la façon dont les joueurs choisissent d’utiliser les mécaniques du jeu pour arriver à leur fin (j’y reviendrai).

Les mains dans le moteur

Si on garde en tête les sens génériques du terme « mécanique », on retrouve pour le jeu certains des aspects décrits plus hauts :

  • Tangible : le jeu est manipulé par les joueurs.
  • Prévisible : le résultat de chaque action de jeu est connu car décrit.
  • Décrit justement via les règles.
  • Lisible : on voit les règles à l’œuvre.
  • Universel : tous les joueurs partagent la même règle de jeux.

Le terme « mécanique » reflète parfaitement la réalité concrète du jeu. Le jeu, par l’intermédiaire de son matériel, est exposé entièrement pour pouvoir être manipulé. En suivant les règles du jeu, les joueurs déroulent eux même la mécanique ludique. Ce sont eux qui simulent les rouages de la machine (en faisant évoluer des marqueurs de score par exemple).

Pour pousser l’analogie, les auteurs de jeu sont donc les mécaniciens (qui travaillent les mains dans le moteur comme dirait M. Bruno Cathala) et les joueurs les opérateurs amenés à choisir à chaque instant le bon bouton à pousser ou le bon levier à activer.

Une mécanique directement lisible

Dans le jeu de société, toute la mécanique est révélée, comme l’est le moteur d’une voiture dès qu’on ouvre le capot.

Par opposition, par exemple, à l’électronique qui, pour le commun des mortels, relève de la magie ou de la boîte noire. En électronique en effet, on n’observe pas directement le mécanisme à l’œuvre. Sans explications sur les composants, il est donc impossible de connaître le résultat d’une entrée choisie.

Les jeux électroniques ou, par extension, les jeux vidéo masquent volontairement au joueur la majorité de leurs procédures internes. Ainsi les actions qu’ils permettent au joueur (le fameux gameplay) ne sont que l’un des moteurs de l’évolution du jeu car celui-ci agit aussi « en propre » sans en référer au joueur.

Et le hasard ?

Attention malheureux, ce n’est pas parce que toute la mécanique du jeu de société est exposée, qu’il n’y a plus de hasard. Le hasard est bien entendu possible mais son application est complétement visible des joueurs (le dé ou la pioche par exemple).

Mécanique ou mécaniques ?

A ce stade, pourfendons un problème de vocabulaire : quand on parle d’un jeu, on peut évoquer « sa mécanique » (au singulier) ou « les mécaniques auxquelles il fait appel » (au pluriel). Ce n’est pas exactement la même chose :

  • « la mécanique » d’un jeu c’est l’ensemble des principes de sa mise en œuvre. Autrement dit ce sont tous les procédés qui, suite à une action de jeu, vont faire évoluer le jeu vers son issue : la fin de la partie.
  • « les mécaniques » ce sont des principes de jeu déjà connus des amateurs de la chose ludique auxquelles on peut se référer facilement (exemple : la « pose d’ouvrier » ou le « deck-building« ).

La mécanique d’un jeu est donc une somme de mécaniques de jeux. Une mécanique de jeux peut être intégrée aux mécaniques de nombreux jeux. Et vice et versa. Vous suivez toujours ?

On dira donc « la mécanique de 7 Wonders est particulièrement fluide » et « au début de chaque âge, 7 Wonders fait appel à la mécanique du draft » (mais utilisent d’autres mécaniques pour d’autres phases du jeu).

Fait rigolo (je m’esclaffe), les règles de jeux exposent la mécanique mais font très peu références aux mécaniques utilisées. Le mot « draft » n’apparait pas dans les règles de 7 Wonders, pas plus que « stop ou encore » dans celles d’Abyss. Alors que leurs auteurs emploieront ces mots dès qu’ils présenteront leur jeu à l’oral. Peut-être est-ce dû au fait que ce vocabulaire est réservé aux avertis ou alors qu’il ne faut pas trop déflorer les rouages d’un jeu dans la règle.

Des mécaniques communes

Comme vu dans le paragraphe précédent, les jeux de société partagent des principes communs. Des tentatives existent pour lister les mécaniques les plus utilisées dans le jeu :

Ces catégorisations permettent aux auteurs et joueurs de construire une base référentielle commune pour échanger plus simplement autour des jeux. Même si l’exhaustivité est impossible et que chaque mécanique reste sujette à interprétation.

La qualité d’une mécanique

La métaphore mécanique est poussée plus loin dans les critiques de jeu. Ainsi on va pouvoir dire d’un bon jeu que sa mécanique est « fluide » ou « bien huilée ». Autrement dit que son moteur ronronne et réagit promptement à la moindre sollicitation. A l’inverse, une mécanique « rouillée » semble imposer des actions inutiles ou redondantes et provoque des résultats non prévus ou contradictoires.

La mécanique et la pratique ludique

Pour revenir à un point soulevé plus haut, je pense qu’il faut distinguer la mécanique propre du jeu des pratiques ludiques qu’elles entraînent. Je m’explique :

La mécanique décrit les conséquences d’une action de jeu. Mais le choix de cette action parmi toutes celles possibles n’est pas imposé par la mécanique et reste du domaine du joueur.

Par exemple, un joueur peut décider de « rusher » (précipiter la fin de partie pour gagner) si la mécanique du jeu le permet. Mais ce « rush » n’est pas pour autant une loi du jeu mais simplement une pratique permise par le cadre du jeu.

De la même manière, il me semble incohérent de parler du « bluff » comme d’une mécanique. Il s’agit là encore d’une pratique de jeu induite par la mécanique. Mais on peut jouer à un jeu dit de « bluff » sans jamais bluffer. On peut même gagner.

Mais, pour simplifier, on assimile fréquemment les pratiques de jeu fortement induites par une mécanique à une mécanique en soi.

Pour en savoir plus

Je vous invite à lire la série d’articles « la mécanique du jeu » de Grovast sur Ludovox qui explore, exemples de jeux à l’appui, des mécaniques reconnues. Le premier épisode ici : http://ludovox.fr/la-mecanique-du-jeu-lenchere-a-un-tour/

Crédits photo :


2 réponses à “Aux sources du jeu : 1 – La mécanique”

  1. Onelli dit :

    Merci pour cet article très instructif à la mécanique littéraire fluide et passionnante.

  2. Dominique dit :

    Bonjour,
    Merci pour cet article complet. Cependant je n’ai pas trouvé de référence au jeu de Dames ou au jeu d’Echec. À quelle mécanique appartiennent-ils ?
    Bien cordialement.
    Dominique.

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