Pourquoi je n’ai pas aimé T.I.M.E Stories

Critique initialement parue sur le (fermé depuis) site des Dragons nains.


T.I.M.E Stories est l’un des jeux les plus regardés de 2015 et chaque nouveau scénario publié remet un coup de projecteur sur le jeu (5 publiés à ce jour). Succès critique, il est assez unanimement loué des joueurs si on met de côté les détracteurs de son rapport durabilité / prix.

En ce qui me concerne je n’ai pas aimé T.I.M.E Stories. J’ai joué les trois premiers scénarios avec mes collègues de jeu et nous n’avons finalement jamais pris le temps de terminer le troisième volet.

Je vais tenter d’exposer dans cet article mes points de frustration. Pourquoi revenir sur ce jeu un an après ? Déjà pour tenter de comprendre dans les réactions ce qui l’a rendu si cher au cœur de nombreux joueurs. Ensuite parce que je suis convaincu que parler de ses déconvenues participe aussi à la richesse de la discussion sur le jeu.

Mes propos n’engagent bien sûr que moi et je ne demande pas mieux qu’être détrompé. Si vous voulez un avis positif sur le jeu, vous trouverez d’ailleurs une revue sur ce site même.

« Decksploration »

T.I.M.E Stories s’est en effet révélé extrêmement frustrant pour nous. Concours de circonstances, vrai talent pour prendre systématiquement les mauvaises décisions ou problème de game play, ma seule expérience ne me permet pas de conclure. Mais nous avons vécu des parties longues, difficiles et frustrantes car punitives sans raison. Pour quelques trop rares moments d’exaltation.

De mon point de vue, le jeu est tiraillé entre deux objectifs antagonistes : faire vivre une histoire riche et immersive / donner la latitude au joueur de vivre sa propre histoire. C’est là l’équation (impossible ?) derrière laquelle courent bon nombre de jeux vidéo ou de société. Laisser le choix au joueur ou contrôler son expérience de jeu ? Laquelle de ces deux options renforcera le mieux l’immersion ?

 

Dans T.I.M.E Stories, l’expérience ludique est encadrée par le système des cartes de lieux. Là où le jeu de rôle propose une infinité de choix ou presque, un scénario de T.I.M.E Stories impose sa structure globale mais offre des variantes sous forme d’embranchements. Le choix offert au joueur est donc un choix entre des solutions préexistantes. Jusque-là, je n’ai rien à redire sur ce choix de game design, original, immersif et tout à fait adapté à une histoire riche.

Run 1, run 2, run 3…

Là où T.I.M.E Stories m’a rebuté c’est qu’il n’a jamais semblé vouloir aider à choisir parmi les différentes pistes offertes au joueur. À rebours de la majorité des jeux à choix, le jeu de Manuel Rozoy fait en effet un choix (encore un !) audacieux : pousser le joueur à tester, successivement, tous les choix possibles. Les fameux « runs » qui permettent de retenter le scénario depuis le début mais sous un autre angle.

Dans la promesse faite par le jeu (du moins telle que je l’ai perçu) ces runs étaient des moyens d’approfondir la connaissance du scénario par étapes successives. Pour nous, l’expérience s’est révélée plus laborieuse qu’autre chose. Certes, on aborde le deuxième run avec le souvenir du premier mais avec très peu de choses réellement sauvegardées d’un run à l’autre (l’accès direct aux lieux découverts et… c’est tout). Par conséquent, il nous faut retourner aux mêmes endroits pour récupérer les mêmes objets nécessaires aux mêmes quêtes. Rien ne nous permet de dire si les embranchements et personnages choisis au premier run sont les bons à reproduire ou les mauvais à oublier.

Au lieu d’une exploration libre, nous nous retrouvons à tenter d’optimiser une piste au sein d’un système fermé et peu lisible. Peut-être sommes-nous passés systématiquement à côté des indices sur les personnages à choisir, les pistes à explorer en priorité, les bons objets à récupérer ? Tout aussi déstabilisant, nous nous sommes souvent retrouvés punis d’avoir voulu explorer plus en avant : tel monstre impossible à éviter, telle mauvaise surprise qui, sous couvert de clin d’œil au joueur, semble nous reprocher notre exploration. Chaque choix (déplacement, action) consommant des UT (unités de temps), les runs se finissent alors trop souvent en couac, au pied de ce qui semble être l’information cruciale pour aborder efficacement la suite du jeu.

La gestion de la difficulté dans T.I.M.E Stories doit être particulièrement complexe. Les mini-défaites que constituent la fin d’un run sont à la fois au cœur du jeu et de plus en plus frustrantes pour le joueur. Mais comment en contrôler le nombre pour la moyenne des joueurs ? De notre expérience, autant le deuxième run trouve son rôle sans (trop) entacher le plaisir ludique, autant le troisième run (atteint dans notre cas pour chacune des trois scénarios joués) et les suivants deviennent réellement pesants.

Choix éditoriaux

Le temps de développement d’un scénario de T.I.M.E Stories est colossal je veux bien le croire. L’investissement nécessaire pour scénariser et illustrer chaque lieu en fait un jeu particulièrement complexe à concevoir et produire.

La trame globale de l’agence T.I.M.E, du voyage dans le temps et des runs successifs a deux avantages forts d’un point de vue éditorial. Elle permet de créer et de promouvoir une franchise plutôt que des scénarios dispersés. Elle permet aussi de maximiser le temps passé par les joueurs sur chaque histoire. Les runs rentabilisent en quelque sorte le coût initial de conception et production de chaque scénario.

Mais, du point de vue du joueur que je suis, j’ai la désagréable impression d’être obligé à mon tour de rentabiliser ce coût. Plutôt que de vivre une histoire exaltante, avec des rebondissements mais qui avance, je me vois contraint à reproduire les mêmes gestes. Une progression à rebours ! L’immersion et l’enthousiasme en prennent un coup.

Je ne reproche rien à l’auteur et à l’éditeur. Je ne prétends pas non plus que les choix de game design se sont effacés derrière des choix éditoriaux. J’imagine que c’est bien plus compliqué et entremêlé que ça. Mais notre expérience du jeu s’est vu entachée de cet aspect de redite qui, au lieu de nous entraîner dans une dynamique positive, nous a desservi.

En parlant d’immersion, le principe même de l’agence T.I.M.E est aussi un frein à mes yeux. Au lieu de simplement incarner et vivre la trame du scénario, on est emmené dans une histoire à deux niveaux. Le niveau supérieur étant finalement peu exploité et mis en scène (difficile sans savoir quels scénarios ont déjà joué les joueurs), il apparaît plus comme un obstacle à l’immersion que comme une dimension qui la renforce (écueil qui rappelle un peu les scènes de l’animus dans la série de jeux vidéo Assassin’s Creed de Ubisoft).

Boîte à jeux

T.I.M.E Stories est présenté par son auteur et ses éditeurs comme un conteneur de jeu (une « console » par similarité avec le jeu vidéo) plutôt que comme un jeu. Chaque scénario amenant son propre thème (inclus dans le thème majeur) et ses propres mécaniques de jeu additionnels. Cela rend curieux sur les scénarios à venir et j’essaierai sans doute de retenter l’expérience sur l’un de ceux-ci, avec peut-être plus de chance. Et, si possible, moins de runs.

Je vous invite à vous faire votre propre opinion sur le jeu. Ne serait-ce que pour son principe fort et sa richesse éditoriale, il fait partie des jeux à tenter au moins une fois. Choisissez pour cela un scénario qui vous sied, cette page de Ludovox peut vous y aider : http://ludovox.fr/time-stories-analyse-differents-scenarios-lequel-choisir/.


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