La mauvaise humeur de l’Acariâtre #02 : la dictature de l’équilibrage
Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 111 du podcast Proxi-jeux en novembre 2019.
Cette année, j’en ai marre. Alors quand on m’offre une tribune podcastique, je libère mon fiel sans attendre.
Le sujet de son emportement ce mois-ci : le mythe de l’équilibrage et le triste caractère compétitif des jeux.
La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !
Au programme de cet épisode : Équilibrage et justice pour tous – Jeu de dupes – Mythe du mérite – Victoire personnelle et défaites cuisantes
Joueur. Il faut qu’on parle.
Je t’entends souvent dire que tel jeu contient trop de hasard, que tel autre est mal équilibré. À tes yeux ça suffit même pour le discréditer à jamais.
Mais au fond, qu’est ce qui est si choquant ?
À premier vue, le sentiment d’injustice. Le jeu invente ses propres règles et on attend de lui qu’il soit fun, pour tous les joueurs autour de la table et pendant toute la partie. Alors perdre sans raison valable pour une carte plus forte que les autres, un mauvais jet de dés ? Tout simplement inacceptable
En fait, on veut les mêmes chances pour tous les joueurs. On croit en un jeu juste. Plus juste que la réalité. C’est noble.
Désolé de te décevoir, c’est faux. Complétement faux !
L’équilibre n’existe pas. C’est une vue de l’esprit, un beau mensonge.
On voit le jeu comme un espace parfaitement réglé. Mais c’est oublier tout son contexte. Les conditions de la partie, ce qui se passe autour de la table, l’humeur des joueurs, leur connivence, tout ça influe bien évidement sur l’issue du jeu.
Regarde les joueurs. Chacun arrive avec son identité, son expérience du jeu de ce soir, celle des jeux en général. Ses compétences personnelles aussi, ses facilités. Tout cela est investi dans le jeu.
Que signifie donc la victoire ? Qu’un joueur a plus brillé que les autres ? Qu’il est plus malin, plus intelligent, plus fort ? Plus méritant ?
Non. La victoire ne prouve qu’une chose, c’est qu’il a gagné selon les termes du jeu. Mais à quoi il la doit ? Comment il l’a obtenu ? Impossible à savoir.
Les joueurs ne sont jamais sur un pied d’égalité. Quand la chance est exclue des mécaniques de jeu, c’est celle de la réalité qui s’impose.
La chance qui fait naître avec des prédispositions, si elles existent. Celle qui fait naître dans le bon contexte familial, social. Dans le bon pays et à la bonne époque. La chance qui rend la vie plus facile et celle qui donne le courage de poursuivre ces efforts. Celle qui fait réussir, exceller, dépasser.
En réalité, la marge de liberté accordée à chacun est très faible. Le mérite, c’est de tirer le meilleur parti de ce que la vie nous donne. Et elle donne en totale injustice. Le mérite est donc une échelle absolument personnelle. Tout sauf un facteur de comparaison entre individus.
Dans le jeu c’est la même chose.
Il est incroyablement triste que la compétition soit un ressort si fondamental du jeu. Une activité qui devrait pouvoir échapper aux contraintes du réel, qui se retrouve en à reprendre les pires mensonges et les concours de bipppp !
Un jeu équilibré est un jeu équilibré pour chaque joueur séparément. Qui lui offre des opportunités à saisir, des choix intéressants, une partie constructive jusqu’au bout. Une satisfaction finale. Un sentiment d’accomplissement. Un résultat personnel.
Le jeu ne prouve rien sur les joueurs les uns par rapport aux autres.
La chance d’ailleurs y a tout à fait sa place. Pour déjouer le déséquilibre naturel, pour partager les opportunités, pour créer de l’intensité et de la surprise.
Alors, joueur, quand la partie se termine, savoure ton succès personnel mais n’en tire pas des conclusions hâtives et ou une fierté déplacée.
Surtout si tu joues contre moi, j’en ai tellement marre de perdre à chaque fois.
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