Double jeu : Pas de Metacritic pour le jeu de société
Dans cette série de billets intitulée « Double jeu », j’essaye de pointer du doigt les différences de pratiques entre le jeu vidéo et le jeu de société et ce que ça nous apprend.
Face A : le jeu vidéo et le très regardé score Metacritic
Metacritic (https://www.metacritic.com) est un site qui agrège les notes de produits culturels. À partir d’une liste de médias de références (journaux, magazines, sites en ligne), Metacritic construit une note globale (le « Metascore ») pour chaque film, livre et surtout jeu vidéo. Un score qui reflète donc l’appréciation générale des médias spécialisés. L’algorithme Metacritic qui affecte plus ou moins de poids à chaque source est un secret bien gardé. Bien d’autres services existent sur ce même principe et peut-être avez-vous déjà entendu parler de Rotten Tomatoes pour le cinéma par exemple.
Parmi les domaines couverts par Metacritic, le jeu vidéo est de loin l’industrie qui accorde le plus de poids à cette note globale. Pour un commentateur, le Metascore d’un jeu vidéo est une façon simple et directe de notifier son succès critique et de comparer les jeux entre eux. Au lancement d’un jeu, son score Metacritic donne aussi une bonne idée du succès et des ventes à venir. Certains studios vont jusqu’à indexer la prime de performance de leurs salariés sur la note Metacritic que le jeu obtient à sa sortie.
La note Metacritic devient ainsi un critère de choix des jeux. Parmi toutes les informations relayées sur une fiche de jeu, la plateforme de vente en ligne Steam affiche par exemple ce score. Certes en moins bonne place que les appréciations laissées par les joueuses sur le jeu.
Le Metascore est bien sûr une donnée ambigüe et je ne prétends pas du tout qu’il s’agit là de l’indicateur parfait et ultime. Il est certes utile pour estimer la réception critique d’un jeu. Mais il est aussi absolument réducteur pour estimer la qualité d’un jeu. Il est d’ailleurs tout aussi réducteur du travail critique qui aboutit à cette note unique. Comme tout agrégat de données, ce score n’est pas hermétique à la manipulation et son usage concret pose question.
Plus généralement il pose la question de l’intérêt de noter les produits culturels et laisse complétement de côté les médias qui refusent cette pratique. Dans notre monde obsédé par les chiffres et les évaluations, ce n’est pas anodin.
Face B : le jeu de société et l’absence de critique de référence
Le jeu de société ne fait pas partie des domaines culturels visés par Metacritic. À ma connaissance il n’existe aucun service équivalent qui remplisse cette fonction dans le domaine sociétoludique.
Dans un usage similaire, c’est la note BoardGameGeek affichée en bonne place sur le site de référence du même nom qui fait office de thermomètre qualitatif. Mais il s’agit là uniquement d’une moyenne des notes laissées par les joueuses sur la plateforme et non de notes de médias spécialisés. Cette note BGG reflète néanmoins l’appréciation générale de la qualité des jeux et est utilisé par les commentateurs pour comparer les jeux de société entre eux. Le rang de chaque jeu dans le classement que permet cette note est ainsi très regardé et commenté.
Mais alors. Qu’est-ce qui explique que le jeu de société n’est pas son Metacritic à lui au vu de son importance pour le jeu vidéo ?
Plusieurs raisons :
- La première est le caractère plus confidentiel du jeu de société. Le jeu vidéo est plus pratiqué. Les jeux vidéo phares sont des rendez-vous culturels indépassables. Ils occupent davantage d’espace médiatique et sont davantage analysés et commentés.
- La seconde, plus dérangeante pour le jeu de société, est l’absence de médias spécialisés. Le score Metacritic d’un jeu vidéo phare agrège plusieurs dizaines de médias de référence. On serait bien en peine d’en trouver une seule dizaine pour le jeu de société. La valeur d’une moyenne étant liée au nombre d’éléments, la représentativité du score serait très médiocre.
Faute de médias spécialisés, les seules qu’on entende sont donc les joueuses. C’est un triste constat. Non pas que l’avis des joueuses soit à déconsidérer. Mais c’est se priver d’une autre voix et donc des possibilités d’autres discours. Le classement BGG et l’algorithme qui le manœuvre tendent ainsi à privilégier les énormes ventes au détriment de jeux plus confidentiels. Là ou une presse spécialisée pourrait mettre en lumière des jeux plus en marge. Les deux sont en réalité complémentaires.
C’est là le paradoxe. Si le score Metacritic est un indicateur très limité, il donne paradoxalement un dernier poids à la presse spécialisée vidéoludique. Et son absence d’équivalent dans le jeu de société révèle le manque de référents critiques dans ce domaine.
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