Vous êtes encore là ? ou un pas de côté pour ne pas finir noyé

Un an jour pour jour après le dernier article publié ici. Toc toc.
Ami·e·s allergiques à l’auto-apitoiement, passez votre chemin mais restez à proximité, ce billet en annonce d’autres, moins égocentrés.
Longtemps j’ai joué avec bonheur, courant la nouveauté sans renier la découverte des vieilleries bien conservées. Me jetant avec frénésie sur la prochaine partie.
Avec tout autant de gourmandise, j’ai partagé mes réflexions sur la pratique du jeu de société. À l’écrit ou à l’oral. Ici ou ailleurs, pendant plus de dix ans.
Mais ce temps semble révolu. Ma pratique, déjà, s’est réduite drastiquement. Bousculée par le manque d’occasions propices et d’autres priorités. Mon envie d’en parler a suivi le même chemin. Pour des raisons plus ambiguës. Mettons cartes sur table.
BoardGameArena en aparté
Ces dernières années, la plateforme de jeux de société en ligne, BoardGameArena, a accueilli la majeure partie de ma pratique. Facile d’accès, toujours disponible, immédiate, elle résolvait toutes mes contraintes d’organisation de parties sur table.
Une pratique intensive qui a amené quelques dérives. Pour deux catégories de jeux aux antipodes :
- Les jeux « pantoufles ». Quelques rares élus qui m’ont rendu accro et que j’ai fini par connaître par cœur. ♥Res Arcana♥. ♥Ark Nova♥. Un sentiment de contrôle, un recherche de performance. Des parties en tour par tour qui occupent l’esprit même en faisant autre chose. L’attente frustrante des adversaires. Le sentiment étrange d’un plaisir vain. La dérive vers l’addiction. Jusqu’au trop plein.
- Les jeux « appris en diagonale ». Des invitations à des jeux inconnus trop vite acceptés. Des règles rapidement parcourues et mal comprises. Des parties ou je perds le fil de ce que je fais et de ce que font mes adversaires. Des coups joués sans comprendre. Des déroutes cuisantes sans envie d’y revenir.
Entre ces deux extrêmes, il ne restait que quelques rares occasions de prolonger le plaisir d’un jeu déjà apprécié, sous sa forme numérique cette fois. Las, tout ça s’est arrêté du jour au lendemain, quand un changement de carte bancaire a invalidé mon abonnement. L’occasion lâche d’occuper le temps (temps réel et temps de cerveau) qui était consacré à jouer en ligne à enfin autre chose.
Les jeux pour jouer et tous les autres
Aujourd’hui donc, quand il m’arrive encore de jouer aux jeux de société, c’est sous sa forme physique, so XXe siècle.
Je ne sais plus qui disait distinguer les « jeux à jouer » et les « jeux à réfléchir ». J’y rajouterai une troisième catégorie : « les jeux à faire jouer » :
- Les « jeux à jouer » sont ceux qu’on joue pour soi-même. Mais encore faut-il trouver les occasions et partenaires adéquates. Dans mon cas, on y retrouve les rituels domestiques dont la boîte s’écorne (Patchwork, 7 Wonders Duel, Abys Conspiracy, Botanik…) et les jeux d’enquête, prétextes tous trouvés d’une après-midi douillette à la maison.
- Les « jeux à faire jouer » sont ceux qu’on est ravi de faire découvrir aux autres même si son propre plaisir est moins dans le jeu lui-même que dans le partage du jeu et le moment en commun. Avec les jeux d’enquête, ce sont là les seuls jeux que j’achète encore aujourd’hui, pour y jouer en famille, entre ami·e·s, au travail. 2 pommes, 3 pains, Hit!, It’s not a hat, Tryo…
- Les « jeux à réfléchir » sont ceux qui poussent à interroger la pratique et le médium jeu de société. Connaitre leur concept et leur genèse est déjà porteur de réflexion. On y joue au plus une fois. Je les regarde de loin avec curiosité et envie mais ça va rarement plus loin.
Voilà le panorama de ce qui m’occupe ludiquement aujourd’hui. Deux ou trois découvertes m’occupent toute une année et ma ludothèque garde son poids de forme sans effort.
La déferlante
Pourtant dehors, les nouveautés ludiques bourgeonnent toujours plus vite, il n’y a plus de saison. La fenêtre de visibilité d’un nouveau jeu semble se restreindre aux deux semaines qui précédent sa sortie et le mois qui la suit. Seuls quelques titres, poussés aussi par la soif d’expériences partagées et de sujets de discussions en commun, occupent tout l’espace disponible et survivent un peu plus longtemps.
La même avalanche est visible côté contenus. J’ai quatre numéros du magazine Plato sur ma table de chevet et trois de Senet sur la table du salon. J’ai dix articles de Dan Thurot et autant de Ludovox qui prennent la poussière (de pixels) dans mes onglets. Les podcasts je n’en parle pas ; je n’ose plus ouvrir PodcastAddict et ses compteurs accusateurs. Les vidéos je n’en regarde pas (Qui a pu penser que c’était un format efficace et moderne de transmission d’information !?).
Face à un tel rythme, la solution est toute trouvée : abandonner. Faire le deuil d’une compréhension globale de ce qui se trame. Perdre le fil involontairement d’abord puis volontairement une fois le constat digéré.
Comme avec mes jeux chouchous sur BGA, le trop-plein jusqu’au rejet.
Murmurer dans la foule
Depuis que je joue, j’en parle. J’aime écrire et tenter la réflexion, on ne se refait pas. Ici ou chez Proxi-jeux à l’époque. Humblement, confidentiellement bien entendu. Mais dans un petit milieu qui permettait de côtoyer beaucoup d’acteurs et de faire entendre sa petite voix. Pas pour la notoriété mais avec l’assurance de quelques réactions, pour une certaine forme de résonance, plus valorisante que de parler tout seul.
Ce qui semblait encore plaisant il y a cinq ans me semble aujourd’hui impossible. Le volume de contenus semble augmenter exponentiellement. Tout le monde parle en même temps. Je serai le dernier à pouvoir blâmer celles et ceux qui s’expriment à leur tour. Mais, ainsi diluée dans la foule, toute prise de parole semble inaudible et futile. Tenter de se faire entendre à coups de « regardez-moi », « hé j’ai publié un truc » sonne étrangement quand les nouvelles du monde sont chaque jour plus sinistres.
Quelle expertise revendiquer quand on effleure à peine ce qu’il se passe comme c’est mon cas désormais ? N’est-il pas aussi temps de laisser la place à d’autres voix, plus originales et plus adaptées au monde d’aujourd’hui ? Je suis ravi quand je découvre au sein de ce capharnaüm une voix singulière, un propos qui émerge et qui me parle.
C’était mieux avant…
…Ou pas. C’était seulement plus facile pour moi, dopé par l’euphorie de découvrir un continent nouveau, de participer à des projets collectifs, de rencontrer des personnes inspirantes. Ce temps a fait son temps.
Je ne vivrai plus le jeu de société sous cette forme. Désormais je picore, je reste sourd aux promesses clinquantes, j’abandonne sans remord un podcast ou un article qui ne m’apprend rien. Je m’amuse de découvrir le jeu qui semble fait pour moi des mois après sa sortie. Je parle beaucoup moins en ligne, je choisis mes espaces, plus réduits et protégés (Mastodon, quelques groupes Discord).
Paradoxalement, s’extraire ainsi du flux incessant élargit l’horizon des découvertes possibles. Je peux enfin prendre le temps de lire des livres sur le sujet (je vous en reparle très vite !). Je reprends la lecture d’un article ardu en plusieurs fois sans précipitation. Je peux m’essayer à imprimer un jeu expérimental. Peut-être même que je vais trouver le temps de cerveau disponible pour pousser des idées de game design un peu plus loin, qui sait.
Tout ça pour dire, qu’un an plus tard, après avoir laissé mûrir quelques réflexions, je compte bien me remettre à écrire ici à mon rythme et sans pression. Parce que j’adore écrire, parce que le jeu de société est un terrain riche en perspectives, parce qu’il y a de belles choses et personnes recommandables à aider à faire découvrir. Parce que, peut-être, vous me lirez et viendrez en discuter.
À bientôt j’espère !
Crédit Image: extraite du film Playtime, un film de Jacques Tati, 1967
3 réponses à “Vous êtes encore là ? ou un pas de côté pour ne pas finir noyé”
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Allo, y’a quelqu’un ?
Mais oui, on est encore là.
Je me retrouve en partie dans ce billet d’humeur.
Je pense être dans une situation partiellement comparable.
Contributeur déjà à l’époque ultra-confidentiel par mes quelques posts sur feu Tric-Trac, puis mes articles commis sur Ludovox notamment, j’ai passé le sommet de ma production écrite depuis plusieurs années déjà.
Je me sens un peu dépassé par le tumulte des sorties.
Et pourtant, ma pratique continue d’avoir ses piliers : en famille, les festivals locaux, le FLIP…
Il n’y a pas de fédération de la légitimité qui délivrer une licence. A mon sens, un avis écrit et étayé vaudra toujours mille fois plus que les vidéos superficielles d’influenceurs bisounours.
Et y aura toujours quelques vieux cons pour te lire, voire te reconnaitre via ton pseudo à un moment inattendu (incroyable mais j’ai encore des cas de-ci de-là…)
Allez, à l’année prochaine au FIJ ? ;)
Il me semble tout à fait anormal d’y pratiquer une de tes co-créations lors même que tu n’es pas présent.
Il y a pas de nuance à ajouter à « c’était mieux avant », la preuve : on avait plus de billet d’Acariatre avant :p
Plus sérieusement, je trouve ça dommage cette crainte qu’on les intello à utiliser cette expression de peur de l’association immédiate avec les réactionnaires. Implicitement, ça dit que c’est toujours mieux maintenant et que ça sera encore mieux plus tard.
On se demande bien qui a des intérêts derrière ce genre de discours …
Voilà, sinon tout le reste de l’article je te rejoins et j’espère que ça te motivera à en sortir d’autres !
(Chose amusante : c’est aujourd’hui aussi que je décide de détérrer ma chaîne Youtube)
Quasi tout pareil même si je ne suis pas à un niveau aussi poussé du meta que toi. :)
Tu me mets le doute dans la production de nouvelles videos sur peertube pour le coup. :)