Interview : Nils Berenguer, gérant du Nid Cocon Ludique, boutique-bar à jeux à Paris
Cette fois ci je vous emmène dans un de mes lieux favoris pour jouer : « le Nid Cocon Ludique », boutique-bar à jeux à Paris. À la rencontre de son créateur : Nils Berenguer, 26 ans, isérois d’origine.
Bonjour Nils, tu es donc, si je ne me trompe pas, le fondateur et le gérant du Nid Cocon Ludique, situé dans le Marais à Paris et qui cumule les fonctions de bar à jeux et de boutique. Depuis combien de temps la structure existe-t-elle ?
Le lieu existe depuis un an presque exactement. L’ouverture avait eu lieu le 8 août 2014 et l’inauguration officielle en septembre peu après.
Depuis combien de temps ce projet mûrissait-il ? Que faisais-tu auparavant ? Quelles étaient tes motivations principales en montant ce projet ?
J’ai eu l’idée il y a quatre ans et décidé de la lancer il y a deux ans. À partir du concept, il a fallu un an de préparation avant d’ouvrir.
Auparavant, j’étais technico-commercial dans l’énergie. Suite à un désaccord avec mon patron, j’ai claqué la porte, négocié une rupture conventionnelle et j’ai rejoint ma copine à Paris. Je n’avais plus envie de travailler dans ce secteur-là, ni d’avoir un patron d’ailleurs (rires). Je me suis demandé quoi faire de ma peau. J’avais l’idée du bar à jeux dans un coin de la tête et j’ai regardé ce qui se faisait à Paris. J’ai trouvé qu’il n’y avait pas grand-chose d’existant et je me suis dit « Banco, je me sens de le faire ». Je me suis donné un an, c’était parti.
Ça ressemble un peu à un jeu de civilisation en mode « Iron Man ». Si tu te plantes, tu te plantes.
Je voulais un boulot qui me donne envie de me lever et où je me vois passer quelques dizaines d’années. Il s’est avéré que la phase de création et d’animation me plait particulièrement. Beaucoup de données à analyser, pas besoin d’être hyper spécialisé dans chaque domaine mais plutôt d’avoir une vue d’ensemble et de savoir prendre des décisions. J’aime beaucoup les compétences auxquelles ça fait appel. Ça ressemble un peu à un jeu de civilisation en mode « Iron Man » (Note de l’Acariâtre : c’est à dire sans sauvegarde). Si tu te plantes, tu te plantes.
Quelles ont été les difficultés pour monter un tel lieu ? Un projet de ce type trouve-t-il aujourd’hui des investisseurs et des soutiens ?
Il n’y a pas eu tant de difficultés. Deux principales : trouver un lieu c’est toujours galère et les banques étaient peu compréhensives.
Malgré un apport personnel conséquent, j’ai eu du mal à obtenir un prêt. J’étais suivi par une structure qui s’appelle l’ADIE (www.adie.org) qui fait du micro-crédit et tous les mois accompagne le lancement d’une douzaine de projets. Des tuteurs bénévoles (chefs d’entreprises, commerciaux, financiers) sont là pour t’aider. J’avais un dossier béton et malgré ça, les réponses des banques étaient hors-sujet. Finalement, j’ai trouvé le local et ai été voir une banque en dernier lieu pour obtenir le prêt qui m’a cette fois été accordé.
Si j’avais vendu des kebabs, je suis sûr que j’aurai eu mon prêt plus facilement. Le domaine du jeu, ils ne connaissent pas : ils n’avaient ni grilles ni coefficients sur lesquels s’appuyer. Comme c’est un univers un peu particulier, si tu n’es pas dedans, tu as l’impression que personne ne joue. Alors qu’en fait, ce n’est pas vrai, la preuve.
Quelle est la spécificité du lieu par rapport à d’autres boutiques ou bars à jeux existants dans la capitale ? Le lieu apparait comme très lumineux et très aéré, était-ce voulu dès le démarrage du projet ?
Déjà on a une tireuse à bière et on est les seuls ! Le Nid a une licence « restauration » (il faut manger à la table pour consommer de l’alcool).
L’adresse est assez centrale dans Paris, facile d’accès.
L’aspect ouvert du lieu était voulu. On voulait du bois, le mobilier est fait-maison sauf les tables.
On a fait exprès d’avoir un nom sans le mot « troll », un nom qui ne fasse pas trop heroic-fantasy pour ne pas en faire un lieu réservé aux geeks. On avait des retours sur des boutiques où, même quand tu es joueur (et plus encore joueuse), quand tu entres tu as l’impression d’être un corps étranger qui pénètre dans un univers qui n’est pas le sien. On voulait absolument éviter ça. Créer un univers qui ne soit pas réservé qu’aux gros joueurs. Que ceux-là y soient bien mais que le lieu reste ouvert à tous les profils. Ça, je pense qu’on peut dire qu’on a réussi : on accueille une population mixte à 50/50.
D’où vient le nom de « Nid cocon ludique » ?
Au début, j’avais choisi le nom « La République des jeux » parce que je savais déjà que je voulais être autour du quartier République et que j’aime bien la politique. Mais ça ne parlait qu’à moi, ce n’était pas génial.
J’avais envie d’un endroit où on se sente un peu comme dans son salon (celui qu’on n’a pas parce qu’on est parisien).
Je ne voulais pas de « troll » ou « antre » dans le nom. Pas de « jeu » ou « ludique » non plus parce que c’est un peu « bateau ». J’avais envie d’un endroit où on se sente un peu comme dans son salon (celui qu’on n’a pas parce qu’on est parisien). Il a fallu que trouve un nom un peu en urgence. « Le Nid » ça allait avec l’idée d’être bien et on a ajouté la baseline « cocon ludique » pour expliquer l’idée du lieu.
Le logo et l’identité visuelle ont été réalisés par une amie qui est graphiste.
Après un an d’existence, quel premier bilan peux-tu tirer de son expérience ? Les résultats sont-ils au rendez-vous et l’avenir du lieu est-il assuré ?
Le bilan est très positif, je suis très content de l’avoir fait. Le démarrage est bon, les gens qui viennent sont vraiment très agréables, habitués comme nouveaux.
J’arrive à me verser un salaire. Les résultats sont là et à la rentrée, on a les moyens d’embaucher une nouvelle personne : Mikael (NdA : plus connu sur le web ludique comme « Micha » ou @lebourhis_micha).
En termes d’évolution, le bar à jeux va plafonner sur le niveau qu’on a eu au printemps. Une fois qu’on est complet tout le temps, on ne peut pas pousser les murs ! Pour la boutique, on a fait une première année pas géniale comme volume de vente. Pas de raison pour que ça ne décolle pas cette année : plein de gens viennent au bar, on est au plein centre de Paris, on peut ouvrir les boîtes et, a priori, on sait de quoi on parle parce qu’on les voit jouer. On va aussi essayer d’ouvrir davantage : le dimanche avec des brunchs par exemple.
Partir en tour du monde n’est pas pour tout de suite (rires).
Es-tu seul aujourd’hui pour assurer l’accueil du bar et de la boutique ?
J’ai mes deux associés, Lionel et Fanny, qui viennent donner des coups de main. Ça m’a permis faire des pauses (nécessaires) et pour épauler les premières fois où on a eu des gros jours. C’est un sacré confort.
Pendant l’année, ça permet aussi d’avoir un regard critique quand on lance un nouveau truc. C’est utile de ne pas partir tout seul, c’est moins fragile.
Quel type de clientèle fréquente le lieu ? Est-ce-un public averti ou néophyte ? Y-a-t-il une clientèle régulière qui prends ses habitudes ici ?
Le public est âgé de 25 à 35 ans, mixte, actif, CSP+ je dirais. Tous les profils de joueurs : autant de gros joueurs que des néophytes. Ils cohabitent sans se taper dessus (rires).
Pas mal d’habitués et c’est hyper agréable. On peut discuter davantage que dans un bar classique. J’ai des groupes qui venaient le même soir et qui, un jour, ont fait un jeu ensemble puis prévoient maintenant de se retrouver régulièrement. C’est vraiment chouette.
On a de plus en plus d’habitués qui ont pris leurs quartiers ici, ce qui permet d’ailleurs de compenser un peu la perte d’activité de l’été.
Les clients sont cools.
Le jeu attire une clientèle très agréable. L’endroit aussi.
Les clients sont cools, ils ramènent spontanément les verres, c’est un régal. Le jeu attire une clientèle très agréable. L’endroit aussi. J’avais envie qu’on s’y sente comme à la maison. Je tutoie tout le monde, je crois être sympathique (NdA : je confirme), les gens se sentent à l’aise.
Les clients viennent plutôt pour jouer ou pour acheter ? Les deux activités sont-elles complémentaires pour le chiffre d’affaire ?
Aujourd’hui les gens viennent beaucoup plus pour jouer alors que j’avais prévu 50/50.
Les deux activités sont très complémentaires. Déjà, elles résonnent l’une l’autre : ceux qui ont aimé un jeu peuvent l’acheter et ceux qui veulent acheter un jeu peuvent regarder l’intérieur des boîtes. C’est l’idée de base.
En plus, ça permet de faire tourner le local seize heures par jour ce qui est pratique pour optimiser la principale charge qu’est le loyer. Les deux activités ne s’empiètent pas trop dessus en termes d’horaires. Cela est possible en embauchant de l’aide à la rentrée.
Tu proposes aussi de la restauration sur place. Est-ce nécessaire pour assurer la rentabilité du lieu ?
Déjà, c’est nécessaire de proposer à manger pour obtenir la licence de vente d’alcool. Les gens viennent tôt, directement en sortant du boulot. Si tu ne proposes pas à manger et à boire, tu perds pas mal de monde. Dans ce format, les gens passent leur soirée ici et et prennent l’habitude de manger sur place.
Dans ce format, les gens passent leur soirée ici et et prennent l’habitude de manger sur place.
Pour être rentable, il faut que les gens prennent deux boissons et qu’une partie consomme à manger. Ça plus le droit d’entrée de 3€ pour jouer, indispensable pour nous. C’est en effet une activité ou les gens restent vite plusieurs heures voire toute la soirée et, comme ils sont là pour jouer, ils consomment moins que dans un bar classique.
Comment te fais-tu connaître de ta clientèle ? Le Nid a une page Facebook, est-ce un relais important ?
Le bouche à oreille fonctionne très bien et on a eu de la visibilité dans presse à propos des endroits insolites ou sortir (Télérama, France Bleue, un peu de télé). La page Facebook est actuellement notre seul relais. Le site doit venir dès que je trouve le temps.
La devanture attire aussi. Surtout quand on a un peu de monde à l’intérieur. Les gens s’arrêtent devant la boutique et sont intrigués.
Sont-ce les mêmes jeux qui tournent au bar à jeux et qui sont achetés par les clients ?
Ce sont plutôt les mêmes jeux, les grands classiques : Catane, Dixit.
Comment choisis-tu les jeux à faire jouer ou à proposer sur tes rayons ? Est-ce un choix complexe alors que la tendance est à un nombre de sorties ludiques toujours plus grand ?
Au début, j’ai écumé Tric Trac, les mieux notés. Si c’était noté 8 ou plus, je regardais les commentaires pour me faire un avis. Maintenant, je rentre aussi un jeu dans les rayons quand j’ai plusieurs joueurs qui me le demandent. Surtout comme ça en fait.
J’essaye d’avoir de tous les styles. Après l’ouverture, j’ai cherché pas mal de jeux d’ambiance parce que je n’en avais pas tant que ça, des jeux coopératifs aussi parce que c’est un style qui marche bien.
J’ai les mêmes tarifs que n’importe quel revendeur mais, par éditeur, il faut atteindre un certain nombre de commandes pour être livré. Donc pas toujours facile d’avoir une nouveauté si tu n’as pas assez de réassort (NdA : recommander des boîtes pour garnir les rayons).
Es-tu toi-même un joueur passionné ? Trouves-tu encore le temps de jouer ?
Oui, je suis plutôt un gros joueur, de jeux de stratégie ou de diplomatie (Dogs of War, le Trône de fer le jeu de plateau, Battlestar Galactica). Plutôt du format deux, trois ou quatre heures. Le jeu de rôle aussi.
J’ai forcément beaucoup moins le temps de jouer. J’essaye de jouer au moins une fois par semaine. Pas ici parce que ce n’est pas vraiment possible en tenant le bar et la boutique en même temps. Quand ça m’arrive (très rarement), je fais laguer la partie et les joueurs me détestent (rires).
Les tendances actuelles du monde ludique (augmentation du nombre de joueurs, nombre de sorties toujours croissant, beaucoup de place donné à la communication, nombreux projets de financement participatif) sont-elles bénéfiques pour ton commerce ? Quel est ton ressenti sur ces évolutions de la pratique ludique ?
Aujourd’hui, je remarque que plein de gens ont déjà fait une soirée jeux entre potes et trouvé ça chouette. C’est apprécié d’être ensemble autour d’une table et pas seul derrière son écran, ça plaît bien.
Le catalogue n’est pas particulièrement plus difficile à gérer même au vu de nombre de sorties mais impose plus de sélection. Dans certains genres de jeu comme le jeu à l’allemande, même si tu es un bon jeu, tu es un parmi beaucoup. Si tu n’as pas une mécanique originale tu es invisible.
Je fais pas mal de conseil auprès des clients. J’aime bien jouer à analyser la personne et arriver à toucher juste dans ce que je lui propose. C’est un truc qui fait que le quotidien n’est pas barbant. Quand tu tapes juste et que tu vois que les clients s’amusent. Avec les habitués, quand j’ai des retours sur un jeu via d’autres gens ou que je l’ai testé moi-même, je le mets entre leurs mains.
As-tu des projets en cours liés au Nid, des envies d’aménagement du lieu ou des animations proposées ?
Déjà on va réaménager la boutique pour qu’elle soit plus visible : des linéaires dans la vitrine, plus d’étagères et de séparations pour mieux identifier les espaces « boutique » et « salle de jeu ». On va aussi travailler la décoration en graffant les murs ou au moins la devanture. On souhaite aussi accueillir des expositions d’illustrateurs.
Dès la rentrée, avec le renfort de l’équipe, on va lancer plus d’animations. L’idée est d’accueillir tous les mercredis un éditeur, un auteur ou un illustrateur qui vient présenter une nouveauté.
Le mardi soir, une association est là : « les joueurs anonymes ». Une soirée dans la semaine où c’est donc possible de venir seul ou à deux et de s’y greffer.
On aimerait bien faire des brunchs le dimanche. Faut qu’on y réfléchisse.
On va aussi essayer de réorganiser des soirées comme la soirée Mademoizelle (du site www.mademoizelle.com) qui a eu lieu dernièrement. Une tentative qui a beaucoup plu.
J’aimerais aussi relancer du jeu de rôle. C’est une activité que j’apprécie beaucoup. On a aménagé le fond de la boutique pour isoler un lieu dédié. L’idée c’est qu’à Paris, ce n’est pas facile d’avoir un salon disponible. On a fait des initiations au début qui ont bien plu mais on n’a pas encore donné suite.
À ce moment de l’entretien (un samedi en tout début d’après-midi), un groupe de quatre trentenaires (deux couples) vient occuper une table. Un père passe devant la boutique et rentre avec l’idée de revenir jouer avec son fil plus tard. Deux baroudeurs arrivent avec d’énormes sacs à dos, ont vu l’adresse sur Internet et veulent passer là quelques heures avant de reprendre leur train. Un client appelle pour réserver une table pour le soir même. Je laisse Nils reprendre ses activités, la journée s’annonce chargée.
Je remercie vivement Nils pour son temps et sa franchise. Je vous invite franchement à passer le voir au Nid (à la rentrée en septembre par exemple) et puis, pourquoi pas, vous asseoir pour une partie… ou deux… ou trois.
- la page Facebook du Nid cocon ludique pour se tenir au courant de tout ce qui s’y passe
- Ajouté le 12/10/15 : un très chouette interview audio de Nils et Micha mis en ligne sur le podcast Playtime d’ArtZone Chronicles
- un court article de présentation dans Télérama Sortir
- une interview audio sur Radio Marais (on parle du Nid à partir de 2:00)
- Bientôt le site officiel du Nid (aujourd’hui en construction)
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