Thermoformage, procès à charge

Cet article est paru initialement dans le numéro 4 du magazine JDS de La Carotte Culturelle (où vous pouvez encore vous le procurer).


Au cas où vous l’ignoriez, le monde est divisé en deux types de boîtes de jeux : celles qui accueillent un thermoformage et celles qui s’en passent. Pourtant, du côté des joueurs, le verdict semble unanime : le thermoformage mérite de disparaître.

Faites entrer l’accusé.

Vous avez dit « thermoformage » ?

Rappelons déjà que le mot « thermoformage »  désigne une technique de mise en forme de pièces plastiques. Pour cela on chauffe le plastique et on le presse dans un moule ; la pièce en refroidissant conserve la forme voulue. Cette technique est utilisée pour des choses aussi diverses qu’un pot de yaourt ou un pare-chocs de voiture.

Dans le cas du jeu de société, on appelle aujourd’hui « thermoformage » la grande pièce de plastique qui vient s’insérer dans le fond de la boîte de jeu afin d’accueillir les différents éléments qui le composent (pions, cartes, etc.). Les espaces aménagés dans le support permettent ainsi de ranger les pièces, chacune à sa place.

Le plastique, c’est fantastique

Cette large pièce de plastique est donc censée permettre de mettre en place le jeu plus facilement. Et plus tard, de l’y remettre tout aussi aisément. On écourte ainsi les deux phases les plus rébarbatives du jeu et tout le monde s’en félicite.

Grâce au rangement pièce par pièce, on peut plus facilement visualiser s’il manque un élément de jeu qui aurait roulé sous la table pendant la partie.

Autre avantage : pour des pièces fragiles comme des figurines, le thermoformage protège des chocs. Le plastique permet aussi de consolider la boîte qui se retrouvera peut-être bientôt sous une pile de consœurs.

Pour ranger des cartes en plusieurs paquets distincts facilement récupérables, les compartiments sont aussi un atout (Dominion ou Elysium en sont de bons exemples). Encore faut-il que la boîte puisse toujours se refermer une fois les cartes mises en place.

Le plastique c’est esthétique

Certains éditeurs vont plus loin que le simple aspect pratique et poussent le sens du détail jusqu’à créer un thermoformage « esthétique » en raccord avec le thème. C’est en effet une des premières choses que l’on découvre en ouvrant la boîte, autant qu’elle marque les esprits. Sébastien Pauchon, le game designer made in Suisse, a ainsi acquis une réputation de spécialiste de la chose. Voici en tout cas quelques thermoformages très soignés, de Gameworks et des Space Cowboys :

Le thermoformage d'Elysium en forme de temple grec

Le thermoformage d’Elysium en forme de temple grec

Le thermoformage de Jaipur

Le thermoformage de Jaipur

Certains thermoformages sont plus soignés que le simple plastique bleu foncé ou noir, qu’ils soient en couleur (le rose pour Jaipur) ou même floqués, ce qui leur donne l’aspect et le toucher du velours (la réédition d’Onirim par exemple).

Le thermoformage d'Onirim

Le thermoformage d’Onirim

Certains jeux vont plus loin encore dans l’usage du thermoformage et le transforment en élément utile au jeu. Dans Loony Quest, le thermoformage sert à la fois de support et de piste de score (en coinçant les pions entre le plastique et le bord de la boîte en carton). Dans le tout récent Times Stories, le thermoformage propose des emplacements conçus pour facilement « sauvegarder » puis réinstaller une partie en cours.

Le thermoformage de TIME Stories

Le thermoformage de TIME Stories (extrait des règles du jeu)

Objections, votre honneur

Ce dispositif, en apparence anodin et plutôt pratique, possède pourtant des détracteurs féroces. Pour ce réquisitoire, j’ai fait appel à V-Mazuka (@vmazuka sur Twitter), fier représentant du mouvement #LeThermoformageCayLeMal sur Twitter.

Premier problème identifié, le thermoformage a l’assise entre deux chaises : si le volume proposé pour l’élément est trop ajusté à sa forme, ce dernier tient mieux mais il devient difficile de l’extraire. Personnellement, j’ai pesté plus d’une fois en essayant de saisir les jetons de peuples de la boîte de Smallworld. La solution après quelques essais infructueux : retourner la boîte au-dessus de la table et trier le tout. On perd alors tout l’intérêt de ce type de rangement.

Le thermoformage de Smallworld

Le thermoformage de Smallworld

Deuxième accusation, le thermoformage apparaît vite comme une astuce pour masquer le vide flagrant des boîtes (la matière noire des jeux de société). On sait que le volume extérieur est synonyme de gamme de prix même si personne n’est dupe de l’artifice. Ce morceau de plastique qui occupe toute la place prend donc un peu le joueur pour un grand naïf et celui-ci a toutes les raisons de se vexer en retour. Surtout quand, exaspéré, il finit par troquer son rangement plastique par quelques sachets qui tiendraient dans un dixième du volume total. Autant de place perdue sur les étagères encombrées de la salle de jeu.

Troisième problème, le thermoformage, malgré tous ses efforts, n’est pas joli. Lisse, uni, il reste un morceau de plastique qui semble tout droit sorti d’une usine low-cost des années 70. À côté de la chaleur du bois ou du carton illustré, il fait peine à voir.

Quatrième problème, le thermoformage n’est pas flexible. Le plastique est conçu pour les éléments présents de base dans le jeu et pas plus. Vous voulez personnaliser certains éléments ? Pas la place pour les ranger. Vous voulez mettre dans la même boîte le jeu de base et ses extensions ? Pas possible non plus sans jeter le thermoformage et réorganiser tout le contenu. Vous voulez protéger vos cartes ? Tiendront-elles toujours dans l’emplacement prévu ? Même quand l’éditeur anticipe en proposant plus d’espace ou des rangements pour les prochaines extensions, il finit toujours par se faire rattraper par sa propre actualité (Smash Up et sa « Big Box » pour enfin tout mettre dans la même boîte).

Cinquième problème et pas des moindres, le thermoformage ça se renverse. Si votre boîte contient des éléments à depuncher, le thermoformage a été vraisemblablement prévu pour laisser la place aux planches au sommet de la boîte. Du coup, une fois les éléments découpés et les planches jetées, un espace vide subsiste au-dessus du thermoformage. Si vous avez le malheur de retourner la boîte ou simplement de la poser sur la tranche dans l’étagère, tout se mélange ! Pensez-donc, quand c’est possible, à mettre les planches évidées sous le thermoformage au fond de la boîte, ou, à défaut, de combler avec de la mousse ou du carton.

On doit aussi rappeler que le thermoformage de par sa matière plastique et son mode de production est un composant polluant, bien plus que le carton. Même si des efforts sont aujourd’hui faits pour en atténuer les désagréments.

Comme on le voit, même s’il n’est pas pleinement responsable de ses actes, le thermoformage traîne son lot de casseroles. Les témoignages concordent : « Le thermoformage c’est le mal ».

Dites non au thermoformage

D’autres systèmes de rangement sont bien sûr possibles.

La méthode « tout en vrac » est à la fois la plus simple et la moins efficace. Tout le contenu nage au fond de la boîte. Très utilisé pour les jeux qui trainent dans un placard chez vos grands parents. Jamais chez les vrais joueurs.

La pratique la plus connue fait appel aux fameux sachets à zip que tout possesseur de jeux collectionne. Simple à ranger et déranger, sans les inconvénients du thermoformage. On peut pousser le vice jusqu’à placer sur chaque paquet une étiquette en résumant le contenu (mais attendez-vous à quelques regards inquiets de vos proches). Pour les gros paquets de cartes on peut utiliser des élastiques ou mieux : une bande de papier découpée amoureusement et scotchée autour des cartes.

Conseil pour Noël : si vous voulez faire plaisir à un acharné des jeux, ne lui achetez pas un jeu (il l’a déjà ou alors c’est qu’il n’en veut pas), achetez lui un gros paquet de ziploc© et d’élastiques, vous ferez un heureux.

Le vrai passionné ne se résigne pourtant pas à utiliser l’une ou l’autre de ses options classiques et beaucoup trop simples à mettre en place. Le vrai passionné affectionne ces boîtes de jeu et prend le temps qu’il faut pour les aménager à l’aide de compartiments ou « inserts ». Avec du carton et un peu de patience il est ainsi possible de recréer des compartiments dans la boîte pour chaque type d’élément. Ordre, méthode, praticité, que des avantages pour le passionné rigoureux… si c’est bien fait. Certains éditeurs proposent d’ailleurs ce mode de rangement par défaut comme chez l’allemand Hans im Gluck. Pour les passionnés paresseux, on trouve aussi des modèles de compartiments tout faits en boutique adaptés à chaque type de jeu comme chez les artisans passionnés de la Gozu Zone :

Rangement pour Cyclade chez Gozu Zone

Rangement pour Cyclade chez Gozu Zone

Enfin on peut enfin mentionner aussi les véritables écrins à bijoux de certains jeux dans leurs éditions de luxe. Bois, feutrine, c’est beau et chaud mais ça reste rare… et cher.

On ne va pas en faire tout un thermoformage

Le thermoformage, ce morceau de plastique qui peuple nos boîtes de jeu mérite-t-il sa sinistre réputation ? À l’issue de ce grand déballage, le verdict est sans appel : à de rares exceptions près, le thermoformage impose sa présence encombrante et rigide pour une valeur ajoutée presque nulle. Plus grave, il coupe court à toute tentative d’appropriation et de personnalisation du matériel par le joueur. Coupable !

Éditeurs, réfléchissez-y donc à deux fois avant d’enfermer vos jeux dans cette prison de plastique. Un jeu heureux est un jeu qui a tout loisir de s’entrechoquer gaiement au fond de la boîte.

Merci à V-Mazuka pour ses avis tranchés et sans concession.

Crédits photos : les photos sont de votre serviteur sauf Elysium by Jacky Pohl on boardgamegeek.com


 

Bonus : Sky Runner (1999)

L’ami Jean m’a envoyé les photos du jeu Sky Runner (Ravensburger, 1999). Dans celui-ci le thermoformage sert de support au décor vertical représentant un gratte-ciel :

Le thermoformage de Sky Runner

Le thermoformage de Sky Runner

Merci à lui pour le clin d’œil et les photos.


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