Revisiter pour mieux régner : 7 Wonders Duel
Les éditeurs et auteurs déclinent allègrement leurs jeux à succès à toutes les sauces et on les comprend. Les inutiles variantes thématiques ne méritent pas qu’on s’y attarde. Mais les jeux qui revisitent le contexte (je devrais dire le contrat) du jeu original me séduisent tout particulièrement.
Quelques exemples pour éclairer mon propos peut-être ? Coloretto et Zooloretto, les versions à dés de Race For The Galaxy et Nations, Les Princes de Catane le jeu de cartes à deux joueurs, Risk et Pandémie version « Legacy« . Je vous en mets un peu plus ou ça ira comme ça ?
De l’intérêt des revisites
Même si les jeux ainsi revisités s’inscrivent volontairement dans la continuité du jeu original, ils apportent aussi leurs propres mécaniques et justifient ainsi leur intérêt ludique propre.
Plusieurs raisons font de ces revisites des jeux à succès des objet ludiques particulièrement alléchants :
- Cette revisite même implique un game design sous contrainte, qui peut paradoxalement, doper la créativité et sublimer le résultat.
- En observant côte à côte l’originale et la revisite, on touche du doigt l’exercice de création, j’y reviens dans la suite du billet.
- Le choix des mécanismes conservés, adaptés ou supprimés par les auteurs de la déclinaison met en lumière les spécificités des deux jeux.
- On redécouvre alors l’œuvre originale d’un œil neuf.
- Le jeu revisité procure un double sentiment de confiance en terrain connu et de mise en danger face aux nouveautés apportées.
Le cas 7 Wonders Duel
Dans les cas récents d’une telle revisite je tenais à vous parler de 7 Wonders Duel (d’Antoine Bauza et Bruno Cathala, édité en 2015 par Repos Prod).
7 Wonders Duel revisite le contexte de son grand frère 7 Wonders. L’objectif est en effet de transformer un jeu intrinsèquement multijoueur en un affrontement face-à-face. L’histoire que racontent les deux auteurs sur sa genèse (dans un avion qui les menait à la GenCon mais c’est une autre histoire) illustre bien l’enjeu même d’une revisite :
1. Identifier les principes clés du jeu original
Ce qui fait sa force et ce qu’en retiennent les joueurs (dans ce cas : le draft, le thème et la construction des merveilles, les trois âges de développement chaînés, les interactions avec les voisins directs, les types de bâtiments et les sources multiples de points de victoire).
2. Mettre de côté les principes moins fondateurs et les faiblesses
Dans 7 Wonders : le jeu en simultané et le décompte un poil complexe des points de victoire scientifiques par exemple.
3. Adapter les principes clés qui le nécessitent
Les mécanismes qui ne peuvent pas survivre au changement de contexte (ici le draft et les interactions par couple de voisins, possibles uniquement à plus de deux). Dans 7 Wonders Duel, l’exercice est accompli avec un grand talent en transformant le draft en une mosaïque de cartes enchâssées sur la table. De même, l’affrontement militaire voisin contre voisin devient un très interactif « tir à la corde » (En ce qui me concerne, j’ai une réserve plus forte sur les calculs des coûts du commerce qui grippent un peu la fluidité de l’ensemble à mon goût.).
4. Vérifier la cohérence de l’ensemble
Ajouter et renforcer ce qui y manque (les victoires en cours de partie, les progrès scientifiques par exemple). Tester, modifier, tester, modifier, tester… Soit le quotidien du game designer !
Tous complices du game design
Dans leurs carnets de bord de création, les auteurs de jeux de société racontent en général quelle fut leur idée de départ (un mécanisme, un thème, une envie) sur laquelle ils ont brodé, tergiversé, sué et grogné pour aboutir au jeu final. De l’extérieur on imagine une création par ajouts successifs (par « accrétion » pour faire distingué). Même si en réalité, une grande partie du métier du créateur de jeux est d’ôter le superflu, le joueur échappe à toutes ses étapes intermédiaires et ne perçoit que le mille-feuille des mécanismes finals.
Dans la déclinaison d’une œuvre connue comme 7 Wonders, la mise en œuvre semble passer par une première phase de déconstruction du modèle original (création par soustraction) puis par une reconstruction (par addition) pour aboutir au jeu revisité. Le joueur et amateur (enfin moi tout au moins) se sent d’autant plus spectateur et complice de la démarche de création qu’il touche du doigt les contraintes et les réponses apportées. Ce qui rend l’expérience ludique plus riche pour les deux jeux !
La corde raide de 7 Wonders Duel
7 Wonders, premier du nom, est un jeu dont l’interaction a essentiellement lieu pendant la phase de draft et les échanges militaires et commerciaux. Dans les faits, il est difficile de surveiller et de gêner les stratégies de l’ensemble de ses (nombreux et éloignés) adversaires. Chaque joueur construit donc sa propre civilisation en essayant de garder au moins un œil sur les ressources et puissances militaires de ses voisins directs.
Lorsqu’Antoine Bauza a demandé à Bruno Cathala de l’accompagner dans la création de la version Duel de son plus grand succès, il reconnaissait lui-même ne pas être spécialiste (ni même joueur familier) des jeux à deux. Ce qui caractérise les jeux en face à face est une interaction directe et permanente, focalisée sur les actions de jeu de votre seul adversaire. D’ailleurs, dans 7 Wonders on joue tous en même temps, ce qui en fait un jeu rapide à beaucoup de joueurs et une des raisons de son succès. Dans 7 Wonders Duel, c’est chacun son tour et autant de temps passé à observer l’adversaire.
À ce titre, 7 Wonders Duel ne fait pas dans la dentelle. Là où dans 7 Wonders, la priorité est mise sur son propre développement de civilisation, le jeu revisité invite à se concentrer autant sur le jeu de son adversaire que sur son propre jeu. Tous les mécanismes ont été revus et aiguisés pour faire vivre une passe d’armes où chaque coup porté prête le flanc à une riposte, où chaque action de jeu mal menée est soumise à sanction directe :
- le draft nécessite de surveiller et constamment les options laissées à son adversaire.
- les victoires immédiates militaire et scientifique sont deux épées de Damoclès.
- le commerce fait payer très cher à celui qui a laissé filer un monopole sur une ressource.
- les jetons de progrès, loin d’être anecdotiques, viennent renforcer le choix d’une stratégie scientifique qui serait, sinon, sans doute trop chère pour sa rareté d’apparition.
On savait bien l’intérêt pour les auteurs (ces esprits éclairés) et les éditeurs (ces sombres héros) de présenter un nouveau produit au sein d’une famille déjà en vue. Mais si l’exercice est réalisé avec excellence, le joueur devient complice et le plaisir ludique est décuplé. Joli coup !
Crédits images :
- tous les visuels sont issus des sites web de l’éditeur Repos Prod. Illustrateur du jeu : Miguel Coimbra
- la photo est de votre serviteur
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