Ludo Incognito #07 : La responsabilité de l’auteur de jeux (Michel Lalet – Auteur de jeux de société)
Huitième épisode de ma chronique podcast des écrits autour du jeu de société paru initialement dans l’épisode 96 du podcast Proxi-jeux.
Premier ouvrage de la jeune société d’édition Ilinx Editions, Auteur de jeu de société est écrit par Michel Lalet, auteur de jeux, de musique et de livres. Dans cet ouvrage, il appelle les auteurs de jeu à interroger leurs pratiques et partager leurs démarches pour gagner la reconnaissance médiatique, sociale et politique du jeu.
La transcription intégrale de l’épisode :
Enfin ! Me voilà de retour dans Luda Incognita ce territoire ludique qui cache tant de mystère. Et pourtant je me sens comme de retour chez moi, enfin apaisé.
Hier, une joueuse a évoqué l’existence d’une secte, dissimulée au cœur du monde ludique. Composée de femmes et d’hommes qui ne se contentent pas des jeux tels qu’ils existent déjà. Qui au contraire veulent toujours pousser plus loin les frontières du jeu. Ils se cachent dans les hauteurs, je me remets en route. Je me dois les rencontrer.
La jeune maison d’édition Ilinx se consacre aux livres qui parlent du jeu de société. Sa collection « ID du jeu » accueille cette année sa première parution dont le titre est « Auteur de jeu de société » et l’auteur Michel Lalet. Ce dernier est auteur de jeu de société (Abalone en 1988), mais aussi de musique et de livres. Il est également agent d’auteur depuis plus de 25 ans.
Dans ce livre, dense d’idées et de combats l’auteur s’indigne à juste titre du manque de considération actuel pour le jeu de société.
Pourtant, d’après lui, le jeu est un art sans aucun doute. Il est l’aboutissement d’une démarche de création capable de provoquer des émotions et sensations qu’aucun autre art ne permet. La connivence d’un Times’Up, le bluff d’un Loups-garoux, la trahison d’un Diplomacy ne sont rendus possibles que par la place singulière du joueur à la fois spectateur et acteur.
Mais aujourd’hui encore le jeu souffre de sa prétendue puérilité et de son statut d’objet de production et de consommation. Les médias, les universitaires, les instances politiques l’ignorent ou pire le méprisent.
Ça y est ! J’ai enfin atteint les sommets de la montage Randolph-Sackson comme l’appellent les habitants du coin. J’y ai été accueilli par la tribu des autrices-inventeurs-créatrices-auteurs. Leurs activités consistent essentiellement à décider des lois du monde ludique et à boire de l’hydromel. Tiens, je vois justement approcher la responsable communication de l’endroit :
– Bonjour ! Vous êtes donc là représentante de de la secte des créatrices et créateurs de jeu ?
– Parler de secte me semble bien abusif. Nous n’avons sacrifié personne depuis au moins une semaine. Il faut croire que les éditeurs se tiennent mieux en ce moment.
– Comment devient-on auteur de jeu ? Quelles capacités et compétences faut-il posséder ? Quel rite initiatique faut-il accomplir ?
– Il faut bien sûr avoir du talent, beaucoup et presque autant d’humilité. Il faut avoir au moins créé un jeu bien sûr. Prêter allégeance aux Bruno est ensuite la seule condition à l’entrée dans ce club très fermé.
– Qu’est-ce qui motive d’après vous les auteurs de jeu ?
– Qu’est-ce qui motive chacun d’entre nous ? L’appât du gain, la recherche de gloire. Les auteurs de jeu sont comme n’importe qui, simplement plus beaux et plus forts. La recette est simple : vous prenez deux jeux existants, vous mélangez et brouillez un peu les pistes en maquillant le tout sous un thème vu à la télé. Avec un peu de chance vous appâtez un éditeur désœuvré dans la quinzaine.
– Je vois. Malgré cela, on voit de plus en plus les auteurs raconter l’histoire de leur jeu, de l’idée à la réalisation. Vous en ressentez donc une certaine fierté ?
– Ah, vous parlez de ces carnets d’auteurs sur TricTruc ? Ils sont rédigés par l’éditeur ou un de sous-fifres. Faut pas prendre ça au pied de la lettre, c’est surtout pour amuser la galerie. Bon, faut que j’y aille.
– Merci à vous !
Je laisse mon interlocutrice rejoindre l’église du village. C’est l’heure de la grande messe d’Essen.
D’après Michel Lalet c’est en révélant au grand jour la démarche de création qui mène à chaque jeu que le jeu lui-même gagnera sa reconnaissance artistique et sociale. Autrement dit pour que le jeu soit enfin reconnu il faut que les gens qui le font le soient également.
L’existence d’auteurs de jeux identifiés comme tels apparaît aux Usa dans les années 60 avec les célèbres Sid Sackson et Alex Randolph. Déjà il est flagrant que chaque auteur possède sa propre pâte, ses propres motifs, qui construisent un discours cohérent jeu après jeu.
Mais pour que cette démarche créative s’épanouisse et entraîne des expériences singulières, il est de la responsabilité des auteurs d’interroger leurs propres pratiques. Les horizons commerciaux doivent être considérées mais ne sauraient être le seul moteur de la création. L’auteur de jeu doit penser ce qu’il cherche à faire et transmettre. Il doit aussi rendre visible ce travail sous-jacent pour participer à la reconnaissance de la création ludique.
Avec son franc parler Michel Lalet fustige les tendances de marché qui freinent d’après lui les projets originaux. Il constate une frilosité des éditeurs puis des auteurs à créer des jeux encore jamais vus. L’augmentation du nombre de joueurs devrait amener une plus grande variété de jeux mais c’est finalement l’inverse qui se produit. Les jeux se ressemblent de plus en plus, les créneaux porteurs font florés.
Auteurs mobilisez-vous, écoutez-vous et secouez-vous ! Michel Lalet vous rappelle à vos responsabilités : réinventer les règles, jeu après jeu et prenez le temps de partager votre démarche. Là se cache la reconnaissance médiatique, sociale et politique du jeu.
Décidément, le monde ludique est rempli de bien singuliers personnages. J’imagine que c’est loin d’être les derniers que je rencontre. Pour le savoir, rendez-vous le mois prochain et d’ici là, jouez-bien !
Petit aparté : Comme vous le savez, je suis de ceux qui pensent que le jeu mérite aussi d’être pris au sérieux. Que l’étudier c’est l’enrichir et nous faire progresser. Vous comprenez donc comme je suis heureux de voir une maison d’édition s’emparer du sujet et donner la parole à des acteurs du monde ludique avec une expérience et une réflexion aussi dense que celle de Michel Lalet. Je vous encourage donc à lire ce premier ouvrage de la collection ID du jeu, merci à Ilinx Editions et j’attends impatiemment la suite !
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