Ludo Incognito et le placement d’ouvrier #09 : Les raisons du succès

Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 107 du podcast Proxi-jeux.

Cette saison de podcast est consacrée à l’exploration en long, en large et de travers des jeux dits de placement d’ouvriers.

Cette année d’exploration podcastique du placement d’ouvriers touche à sa fin (snif). L’Acariâtre espère vous avoir convaincu de la place toute particulière qu’occupe cette mécanique de jeux : un genre à part entière, étendard du jeu de gestion et très présent sur les étagères.

Il resterait beaucoup à dire, analyser et commenter sur cette catégorie de jeux mais, après une année à en parler, peut-on au moins mieux comprendre ce qui en fait le succès ?

Une courte sélection de jeux recommandés pour approfondir sa culture ludique est disponible en fin d’épisode. Amusez-vous bien !

La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !


Salut les joueuses et salut les joueurs !

La fin de la 9e saison de Proxi-Jeux approche à grands pas. Je sais ce que ce que vous dites. D’un côté l’arrivée du beau temps vous ravit et de l’autre vous peinez à croire que l’exploration « podcastique » du placement d’ouvriers touche déjà à sa fin.

Sachez que je vous comprends. Il reste pourtant tellement à dire sur le sujet.

En entamant cette série il y a maintenant 9 mois, j’avais deux ambitions :

  • Premièrement : prendre le temps de creuser un peu sérieusement un sujet précis du jeu de société sur toute une année, en v espérant que le sujet s’étofferait de lui-même au fil des réflexions et des épisodes.
  • Deuxièmement : En profiter pour parler de tous les aspects du jeu qui méritent une analyse, qui peuvent s’appuyer sur des études et recherches. Un rapide panorama des angles d’attaque du jeu en quelque sorte.

Durant ces 8 épisodes, j’espère vous avoir convaincu que le placement d’ouvriers occupait une place singulière dans les mécaniques du jeu de gestion. Qu’il s’agit d’un genre à part entière, avec son appellation reconnue, sa définition plus ou moins floue, ses adeptes et ses détracteurs, ses tops 10, ses jeux notoires et sa très forte présence sur les étalages et nos étagères.

Évidemment, au fil des épisodes, je n’ai fait qu’effleurer les sujets cités, faute de temps et de volonté. Je regrette tout particulièrement de ne pas avoir trouvé plus de sources historiques sur l’apparition du terme et sa diffusion. La modélisation de la mécanique et ses variantes jeu après jeu est également un sujet qui mériterait un travail beaucoup plus approfondi. Une enquête de terrain, une analyse des chiffres de vente, des interviews d’autrices, d’éditrices et de joueuses seraient des angles également très intéressant. Il serait en fait possible de consacrer une encyclopédie au placement d’ouvrier ! Mais ça dépasse largement le cadre de ce petit exercice mensuel.

Sans aller si loin, après une année à y réfléchir, est-ce qu’on est aujourd’hui plus avancé pour expliquer ce succès incontesté du placement d’ouvriers ?

Ce que je retiens personnellement c’est que le placement d’ouvriers est une mécanique très accessible, très concrète, très lisible. Un accord parfait entre la mécanique, le thème et le matériel. Observer un tour de jeu suffit à comprendre ce mécanisme de choix des actions.

Cette accessibilité est aussi valable pour les créatrices de jeu. À partir du placement d’ouvriers, facile d’y plaquer un thème, facile d’y associer les autres moteurs du jeu, d’y ajouter ou d’enlever une action selon les envies. Facile aussi de tordre le placement d’ouvriers, d’y rajouter une contrainte supplémentaire pour pimenter la partie et trouver l’identité propre du jeu en cours de création.

Le placement d’ouvriers est ainsi une mécanique souvent centrale dans les jeux mais qui se met au service des autres mécaniques du jeu, celles qui font réellement évoluer la partie (les récoltes et l’élevage dans Agricola, les raids dans Les pillards de la mer du Nord, la récolte du vin dans Viticulture, etc.).

Selon le degré de complexité des autres mécaniques, un jeu de placement d’ouvriers peut ainsi être un jeu de gestion de petit calibre (à l’image d’un Mint works) ou, au contraire, un jeu bien plus complexe (comme un Anachrony par exemple).

Cela permet au placement d’ouvriers d’être une porte d’entrée pour découvrir le jeu de gestion. Et toucher ainsi une plus large cible que d’autres mécaniques moins directement accessibles.

La deuxième explication du succès du placement d’ouvriers me semble liée à son identification même. Le terme est apparu en 2008, rapidement après la publication des premiers jeux qui l’ont mis en scène (Caylus, Agricola) et a été très vite repris par la communauté ludique. La nommer a mis un coup de projecteur sur la mécanique et permis de susciter toujours plus de débat et de commentaires, et ainsi de nouveaux jeux, plus visibles et plus commentés, et ainsi de suite. On peut noter aussi que le terme est apparu alors que plusieurs jeux de placement d’ouvriers étaient déjà connus. Le genre a ainsi pu évoluer sans être écrasé par un jeu qui prenait toute la place et faisait de l’ombre aux successeurs.

Un dernier argument lié à la promesse du genre. Généralement les mécaniques de jeux peuvent donner lieu à des jeux de catégories bien différentes. Un jeu de placement de tuiles peut être un jeu pour enfants, un jeu familial, un jeu à deux ou une mécanique parmi d’autres d’un jeu de gestion. Le placement d’ouvriers n’est mis en scène que dans les jeux de gestion. On sait à quoi s’attendre, l’appropriation en est facilitée !

C’est là, je l’ai déjà dit, le défaut principal du jeu de placement d’ouvriers aux yeux de ses détracteurs. On peut avoir l’impression de déjà tous les connaître ou du moins, de connaître à l’avance les sensations de jeu qu’ils procurent.

Pourtant chaque jeu apporte son petit quelque chose en plus qui le distingue des autres. Quelques rapides recommandations personnelles pour vous en convaincre et reparler un peu des jeux eux-mêmes :

  • Jouez à Caylus (de William Attia, publié en 2005) pour renouer avec les débuts du genre et savourer un jeu qui fonctionne toujours, en cours de réédition.
  • Agricola (de Uwe Rosenberg, 2007) qui dans sa version famille constitue une belle initiation au genre et dans sa version classique déploie sa riche profondeur. Un jeu où chaque tour donne l’impression de ne réussir à faire qu’une petite part de ce qu’il faudrait. Tellement frustrant.
  • The Manhattan Project (Brandon Tibbetts, 2012) pour son thème dérangeant, ses ouvriers spécialisés et l’interaction apportée par l’espionnage qui permet d’aller utiliser le lieu-action acquis par une autre joueuse ou le bombardement pour carrément les rendre inutilisables.
  • Tzolkin : Le calendrier Maya (Simone Luciani & Daniele Tascini, 2012) pour ses lieux actions qui évoluent de tour en tour, entraînés par un mécanisme de roues dentées si original.
  • Euphoria (Jamey Stegmaier & Alan Stone, 2013) plus pour son thème et la réflexion sur le sort des ouvriers. Un thème qui m’est cher. Avec l’évolution de ceux-ci durant la partie jusqu’à leur abandon.
  • Viticulture (Jamey Stegmaier & Alan Stone, 2013), un des jeux les plus appréciés du genre. Pour le tempo des saisons et l’animation apportée par les cartes « Saisonniers ».
  • Mint Works (Justin Blaske, 2017) pour l’exercice de style de se concentrer quasi uniquement sur le placement d’ouvrier, au détriment cependant du thème. Peut aussi servir d’initiation au genre.

Cette sélection est totalement subjective et liée à ma propre expérience de joueur. À votre tour, je vous invite en commentaire à me dire quel jeu de placement d’ouvriers tire d’après vous son épingle du jeu.

On se retrouve le mois prochain pour un épisode d’un tout autre ton et d’ici là, jouez-bien !

— J’arrive pas à y croire. C’est vraiment déjà fini ?

— Il faut bien croire… Ça me fait aussi un drôle d’effet…

— On va faire quoi nous maintenant ?

— On va retourner travailler pardi. Finies les vacances. Ça ne pouvait pas durer, tu sais.

— Toujours les mêmes qui bossent, on aurait dû se douter.

— Allez, viens. On ne va pas se laisser abattre. Je t’invite à boire un verre avant de finir en boîte.


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