La mauvaise humeur de l’Acariâtre #01 : l’âge sur les boîtes

Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 109 du podcast Proxi-jeux en septembre 2019.

Cette année, l’Acariâtre en a marre. Alors quand on lui offre une tribune podcastique, il libère son fiel sans attendre.

Le sujet de son courroux ce mois-ci : l’âge minimum mentionné sur TOUTES les boîtes de jeux de société.

La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !


Au programme de ce mois-ci : Un nouveau format – Bulletin météo – Des moments d’égarement – L’âge mentionné sur les boîtes de jeu de société – Immaturité du loisir – Clap de fin.


15 septembre. L’été s’enfuit lentement. Les jours raccourcissent. Les nuits heureusement, s’allongent d’autant. Les journées durent ainsi toujours 24 heures, les astronomes y veillent.

Les vacances sont loin. La rentrée est bien là, épuisante.

Moi-même suis un peu las. Je ne vous le cache pas. Avant l’été, plein d’une ardeur juvénile qui caractérise les débutants, j’ai signé pour une nouvelle saison de podcast chez Proxi-jeux. Depuis, mon grand âge m’a rattrapé et ne veut plus me lâcher. J’ai pourtant tout tenté. La fuite effrénée, le pas de côté, j’ai même changé de trottoir. Il est toujours là et me pèse sur les épaules. Ainsi va la vie de chroniqueur.

En parlant de mon âge, j’ignore tout du votre. Je vous poserai bien la question mais ça ne se fait pas. J’en suis réduit à quelques hypothèses. Je vous imagine donc à califourchon sur vos 30 ans. Une jambe dans la vingtaine fougueuse, l’autre dans la trentaine sérieuse. Je ne prends certes pas beaucoup de risques. La passion du jeu de société varie naturellement avec l’âge, les sociologues y veillent.

L’enfance par exemple s’y roule sans pudeur. L’adolescence lui préfère jeux vidéo et sorties tapageuses. Le début de l’âge adulte s’y remet doucement, surtout pour l’ambiance mais pas au point d’écouter un podcast spécialisé. Si le virus prend, c’est plutôt vers 30 ans qu’il s’installe et prend ses aises. Il fait comme chez lui et s’approprie une étagère puis deux puis une armoire, bientôt une pièce : il faut déménager. Mais le virus n’est pas dupe. Il déniche votre nouvelle adresse et sonne à la porte. Vous vous réconciliez, on vous dit cul et chemise.

Le nouveau logement compte 3 chambres. Le petit dernier aura enfin la sienne. La nature est bien faite, elle fait coïncider le regoût du jeu de société avec l’arrivée de nouveaux adeptes tout frais. En quelques années, les nouveau-nés acquièrent la station debout, le calcul sur les doigts et quelques notions de langue française, les enseignants y veillent.

L’éditeur y voit une occasion en or. Il demande à l’autrice un jeu familial. Celui qui sera capable de réconcilier deux générations de joueurs, le samedi après-midi, entre le piano de l’aîné et le basket de maman.

Pour plaire à toute la famille, l’éditeur commande une illustration colorée et un brin naïve. L’illustrateur s’exécute, ça finit en bain de sang. L’autrice livre à temps, c’est un métier. Les règles du jeu tiennent en 4 pages et la boîte indique « à partir de 10 ans ». C’est parfait, 10 000 exemplaires sont immédiatement commandés.

Pif, paf, poum, boîtes s’empilent. La boutique en a reçu une palette. Sur les rayons, le jeu trône en bonne place.

Une passante flâne devant la vitrine. Ce soir elle invite quelques amis à dîner. Au dessert, une tarte aux pommes, c’est de saison. Après manger, on parlera des actualités et des films à l’affiche. Ou un jeu peut-être, ça calme les bavards. Un jeu donc, ça fera les pieds à Thomas.

Moyenne d’âge 30 ans ; pas d’enfants dans les pattes, ils sont chez les beaux-parents. Que me conseillez-vous ? « 10 ans et plus » ? On a passé l’âge voyons ! Un jeu de gestion ? Non merci, on sera 8. Alors notre meilleure vente pour les adultes : BlancPlagierMonCoco. C’est gras, c’est vulgaire, c’est puéril mais surtout pas enfantin. Vous saisissez la nuance j’espère. Interdit aux moins de 18 ans, vous ne risquez donc rien. La cliente repart, satisfaite d’avoir été entendue. Sur la soirée elle-même, jetons un voile pudique.

Editeur est un métier à risque. Moins que cosmonaute mais plus qu’expert-comptable. Chaque choix est un piège. Chaque décision une prise de risque. Trop traditionnel ? Le jeu est invisible. Trop décalé ? Il effraie le consommateur.

L’âge sur les boîtes est un lieu commun du jeu de société. Hérité de l’époque où il visait presque exclusivement les enfants. En croyant viser large, il restreint aujourd’hui la cible. « 10 ans et plus » est en fait compris comme « Entre 10 et 12 ans ou avec vos enfants ». Le jeu reste alors immature. Les ventes stagnent. L’éditeur en mange son chapeau, celui en feutre mou. Ça le change des pâtes à l’eau.

Si le jeu de société veut grandir, il est temps qu’il s’imagine adulte qu’enfant. Qu’il abandonne ce complexe qui le pousse à rappeler l’âge souhaité de son public. Le nom du jeu, son thème, sa présentation sont amplement suffisants pour diriger les choix des amateurs. Les prescripteurs et vendeurs sont également là pour aiguiller au besoin. Il faut aussi que le jeu assume de ne pas pouvoir viser toutes les audiences.

On voit par là qu’il faut combattre les habitudes et toujours déplaire à quelqu’un. C’est ce que j’espère avoir accompli avec cette tentative de chronique qui touche à sa fin. Ce n’est pas certes   bien long mais ce n’est pas payé. Les choses rentrent ainsi dans l’ordre, la morale est sauve et la révolte tuée dans l’œuf !

Ludofanatiques et ludofanatiques, le jeu est l’affaire de tous. Accomplissez votre besogne : vivez vieux et jouez tout du long.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Il est aussi possible de réagir à ce billet via Mastodon : @acariatre@ludosphere.fr