La mauvaise humeur de l’Acariâtre #04 : l’Âge d’Or révolu du jeu de société

Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 115 du podcast Proxi-jeux en mars 2020.

Cette année, j’en ai marre. Alors quand on m’offre une tribune podcastique, je libère mon fiel sans attendre.

Le sujet de son emportement ce mois-ci : le soi-disant révolu Âge d’Or du jeu de société.

La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !


Au programme de cet épisode : avalanche ludique, tristesse du passionné, âge d’or et innovation galopante


Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de vous parler aujourd’hui de… jeu de société !

Comment faire autrement ? Le jeu de société est partout. Dans les médias, sur les étals, chez vos voisins et vos collègues du bureau. On ne peut plus le nier : la pratique du jeu de société se généralise. Elle s’éparpille. De plus en plus de joueuses et joueurs, de plus en plus de maisons d’éditions, de plus en plus de jeux. De quoi se sentir submergé par le torrent des sorties ludiques.

Pour le joueur passionné, cependant, c’est une double trahison :

  • Premièrement, son expertise est mise à mal : tout va trop vite, l’actualité lui échappe. Il est dé-pa-ssé.
  • Secondement, la démocratisation du jeu de société dénature l’objet de sa passion. Le joueur ne voit plus sur les étagères que des jeux « ok game« , plaisants mais pas renversants. Qu’il a l’impression d’avoir déjà vu, déjà joué. Qui survivent quelques semaines dans les rayons et les esprits avant de disparaître.

Souvent, seul, le soir chez lui, les yeux posés sur ses étagères débordantes, le joueur repense avec nostalgie aux doux temps, pas si anciens, où les joueurs étaient une tribu d’irréductibles passionnés, retranchés dans leur petit village, loin des regards et abreuvés au quotidien de merveilles ludiques qu’eux seuls savaient apprécier.

Rien de plus faux.

La nostalgie a mauvaise mémoire. Elle efface les souvenirs douloureux pour ne garder en tête que les meilleurs moments. Dans les années 80 ou 90, un nouveau jeu exceptionnel, révolutionnaire n’été pas révélé tous les mois ni même tous les ans. Beaucoup de jeux n’avaient pour seul avantage que celui d’exister dans un désert ludique. La plupart serait sans doute impubliables aujourd’hui, loin des critères de qualité matérielle et mécanique actuellement en vogue. Le manque de tests, les erreurs de règle ou imprécisions de traduction, les problèmes de production étaient vraisemblablement aussi fréquents qu’aujourd’hui mais simplement moins surveillés et surtout moins discutés.

En réalité, si le joueur passionné est nostalgique, c’est de de sa propre période de découverte du jeu. Ce qu’il lui manque c’est l’exaltation des premiers émois, le vertige ressenti devant un continent complet à explorer.

Aujourd’hui, à l’inverse, c’est sa propre lassitude qu’il interprète comme un essoufflement général du jeu de société.

S’il y a un âge d’or du jeu de société, il est propre à chaque joueur, à chaque expérience personnelle.

Croyez-moi, le jeu de société est aussi vivant que toujours.

Dans un récent article du site Ludovox, sa rédactrice en chef Shanouillette identifiait les tendances des 10 dernières années. L’occasion de prendre un peu de recul et de se rendre compte que la palette du jeu de société s’enrichit en réalité chaque jour davantage. À un rythme tout à fait soutenu et enthousiasmant.

Ces toutes dernières années ont en effet apporté leur lot de créations. Je cite en vrac :

  • Le mode Legacy pour ces jeux qui ne vivent qu’une fois. Le matériel précédemment sacré est désormais scarifié et sacrifié.
  • Les jeux uniques où chaque boîte ou paquet est différent.
  • Les jeux à scénarios, jouables une fois.
  • Les jeux hybrides associant le meilleur du carton et du numérique.
  • Les modes solos.
  • Autant de pans entiers du jeu de société qui étaient encore impensés et impensables en 2000.
  • Et j’en oublie sûrement.

Il vous faut d’autres preuves ?

Aujourd’hui, un jeu aussi original et à première vue impubliable qu’un The Mind rafle tous les prix ludiques. Un jeu d’asymétrie aussi exigeant que Root occupe le devant de la scène. L’innovation est non seulement là mais elle est accueillie à bras ouverts.

Alors bien sûr, l’immense majorité de la production actuelle n’est pas révolutionnaire. Mais est-ce vraiment le but ? Comme je le disais dans une chronique précédente, il faut des jeux pour tous les contextes et pas que des innovations censées repousser les limites du médium.

De toute façon, les éditeurs ne peuvent pas innover dans chaque projet. Car l’innovation, il faut en être conscients, multiplie les risques d’être incompris ou à côté des attentes. Seuls les éditeurs avec les reins solides ou très peu à perdre peuvent en réalité se le permettre.

Pour autant, le jeu de société est plus que jamais un terreau favorable à la créativité.

Sans parler d’âge d’or, les moyens de production et de diffusion actuels sont une incroyable chance pour la diversité du jeu de société. Grâce aux imprimantes modernes, grâce aux logiciels de création, grâce à Internet, chacun ou presque peut s’improviser créateur et partager son œuvre.

Pour ceux qui cherchent le frisson des premiers pas, des grandes découvertes et des fréquentes déconvenues, il faut donc chercher dans les circuits alternatifs. Les toutes petites maisons d’éditions, notamment étrangères, les éditions à compte d’auteurs, les jeux à imprimer soi-même, les concours de création et leurs prototypes. Là peut-être, cachée de tous, ils dénicheront enfin leur perle ludique et se sentiront de nouveau un instant l’âme de défricheurs.

Je le pense très sincèrement, le jeu de société a encore énormément à nous faire découvrir. Dans sa forme actuelle et dans des formes tout simplement insoupçonnables à cette heure.

Alors, trouvez votre Ludo Incognita, enfilez votre tenu d’aventurier et jouez-bien !


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