La mauvaise humeur de l’Acariâtre #05 : Les usages autorisés du jeu

Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 117 du podcast Proxi-jeux en mai 2020.

Cette année, l’Acariâtre en a marre. Alors quand on lui offre une tribune podcastique, il libère son fiel sans attendre.

Le sujet de son emportement ce mois-ci : les usages autorisés et les usages révoltants du jeu de société.

La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !


Au programme de cet épisode : utilitarisme, péril ludique, coopération tolérante et ronchonneries répétitives


Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de vous parler aujourd’hui de… jeu de société !

Comment faire autrement ? Le jeu de société est partout. Dans les médias, sur les étals, chez vos voisins et vos collègues du bureau.

Le jeu de société a bonne presse. Cadeau parfait : ni trop sérieux, ni trop futile. Pas polémique, pas révoltant, coupable de rien. Personne ne mène de bataille pour le faire interdire. Le genre idéal.

On lui prête des vertus pédagogiques. Faites jouer vos enfants, vos élèves, vos patients. Pour un apprentissage tout en douceur, sans effort, sans même le savoir.

Plus fort encore, il peut également éduquer les adultes. Vous chercher à promouvoir votre activité : faites un jeu de société. Sensibiliser à votre cause : un jeu de société. Former vos équipes : un jeu de société pardi ! Pensez à émettre un petit communiqué de presse au passage : dynamiser votre image avec cet objet gentiment tendance et absolument inoffensif.

Cette soudaine visibilité du jeu de société peut agacer les passionnés que nous sommes.

Déjà parce qu’il est paradoxalement très frustrant d’être vu comme le bon élève. Le gentil qui rentre dans les cases. Celui qui ne surprendra jamais.

Mais aussi parce que vanter les vertus positives du jeu le réduit à être un objet utile. Créé avec des objectifs tangibles et mesurables en tête. Apprendre. Sensibiliser. Former. Guérir.

Et jouer dans tout ça alors ? Un objectif secondaire du jeu ? Une petite gratification dans l’ombre de plus grands enjeux ?

Moi vivant, ça jamais ! Au bûcher ceux qui détournent le jeu de son essence première, de son plaisir immédiat, de sa futilité recherchée et de son inconsistance. Le jeu doit rester jeu. Sans autre but qui lui-même et sans fausse promesse ! Toute tentative d’en faire autre chose est un affront aux joueurs que nous sommes !

Certes, cette énergie est communicative.

Mais vous commencez à me connaître. Vous fréquentez cette chronique depuis un an maintenant. Vous savez que je n’aime rien autant que râler contres les râleurs. À mon tour donc.

Avant de s’intéresser aux affronts extérieurs, regardons déjà ce qui se passe dans le monde du jeu même.

Comme tout domaine de passion, le jeu de société a ses écoles et ses chapelles :

  • Celles qui ne jurent que par les wargames simulationnistes et accusent d’hérésie un jeu qui oublie de prendre en compte l’effet de la cuisson des pâtes sur le moral des troupes.
  • Celles qui cherchent la franche rigolade et se moqueront des mines sinistres des joueurs concentrés devant leur tableau de cubes.
  • Celles qui pensent que les jeux nés au XXe siècle sont des abominations commerciales réservées aux grands enfants.
  • Celles qui veulent juste passer un moment ensemble et qui ont malencontreusement oublié les querelles qui finissent toujours par éclore Rue de la paix.
  • Celles qui… Mais vous m’avez compris.

Le jeu a de multiples facettes. Le définir est un combat perdu d’avance. Le circonscrire tout autant. Chacun est libre de se faire sa propre idée et propre expérience du jeu.

Personne en revanche ne peut imposer sa propre norme.

Même si tenter de le faire, tenter d’imposer sa propre vision du jeu, à grand renfort de de mauvaise foi et d’attaques sournoises, fait partie du jeu et est un plaisir évidement savoureux. C’est l’objet même d’une passion que d’avoir à la défendre. Les joutes verbales sur les frontières du seul vrai jeu font le sel des discussions ludiques. Jeux mécaniques contre jeux narratifs. Compétition contre coopération. Party games contre jeu Excel. Ces combats durent et dureront.

Rien de mal à ces discussions enflammées tant qu’elles ne sont que des discussions et pas de réelles tentatives de contraindre les pratiques. Vous n’aurez pas ma liberté de jouer !

Il est impossible de limiter le jeu à un genre. Il est tout autant vain et absurde de tenter de limiter les autres usages possibles du jeu. Si un professionnel de l’éducation veut utiliser le jeu, grand bien lui fasse. Si un jeu peut apporter son concours à une

médiation thérapeutique, qui sommes-nous pour tenter de l’en empêcher ? Si un investisseur ne voit le jeu que comme un bien de consommation à la mode, tant mieux pour lui.

Le jeu n’appartient ni à eux, ni à nous.

Plus que tout, c’est faire un affront au jeu que de croire qu’une seule des directions risque de devenir la norme. Qu’une vision affirmée du jeu finira par interdire toutes les autres. Personne n’a pourtant le pouvoir pour en faire une seule chose proprement gardée. Le jeu est bien sûr, bien plus riche et bien fort que ça.

En réalité, comme j’ai pu souvent le dire, trouver un intérêt autre que ludique au jeu ne lui retire rien. Tout au contraire, ça l’enrichit, ça le bouscule, ça le fait réagir. Toutes les dimensions se complètent les unes et les autres et font avancer le tout.

Ainsi le jeu de société peut être sérieux. Il peut être brouillon. Engagé. Artistique. Commercial. Inéditable. Il peut être tout ça, tout à la fois et bien plus encore.

Vous n’avez bien sûr aucun devoir d’en accepter tous les aspects. Mais si vous voulez défendre votre propre façon d’envisager le plaisir ludique, faites-en la promotion plutôt que de tenter d’interdire les pratiques qui vous déplaisent. En un mot : soyez ambassadeur du jeu qui vous sied et pas pourfendeur de celui qui vous déplait.

Ouf, ça y est, j’ai pu déverser mes cinq minutes de râleries bimestrielles. L’avantage indéniable du podcast : personne ne peut m’interrompre !

D’ailleurs ce billet d’humeur était le dernier de l’année car le mois prochain je vous parlerai comme à mon habitude de boardgame studies. Et sans doute la dernière chronique rageuse tout court. En effet, d’une part mes sujets d’agacement s’épuisent et je ne vais pas m’inventer des aigreurs simplement pour les combattre. D’autre part, le ton revendiqué dans cette chronique me met dans une posture de moralisateur-tonton-ronchon qui cadre un peu mal avec la tolérance que j’essaye de prôner. Ou l’Acariâtre pris à son propre piège. Et enfin, j’ai d’autres idées de format pour l’année prochaine, vous allez voir ce que vous allez entendre !

Avant d’en arriver là, on se retrouve le mois prochain pour la dernière chronique de l’année et d’ici là, protégez-vous et jouez bien !

 


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