Émotions du jeu #06 – Le rire

Cet épisode est initialement paru dans l’épisode 124 du podcast Proxi-jeux en février 2021.

Chaque mois, l’Acariâtre tente d’examiner sous toutes les coutures une émotion provoquée par le jeu. Ce mois-ci : le rire !

Le jeu et l’humour ont beaucoup en commun et le rire est un climax évident des jeux d’amusement. Pourquoi et comment ? Accrochez-vous, c’est parti !

La transcription intégrale de l’épisode est ci-dessous, bonne écoute !


Annonce

Salut les joueuses et salut les joueurs, c’est l’Acariâtre au micro.

Dans cette chronique, je décortique chaque mois une émotion provoquée par le jeu de société.

Pour ce sixième épisode, enfin un peu de sérieux, on va parler du… rire !

Le jeu de société est-il un bon support à l’humour ? Fun et Rire sont-ils toujours associés ? Pourquoi et comment faire rire dans une partie de jeu ?

Autant de questions auxquelles je vais tenter de répondre ici. Accrochez-vous, c’est parti.

Vocabulaire

Mais avant d’aller plus loin, de quoi parle-t-on exactement ?

De l’action de rire. Une émotion de joie, vivement exprimée, avec éclats. En termes de sensation, on parle d’hilarité. Alors ici, je mets volontairement de côté la simple humeur plaisante, la gaîté, le sourire pour consacrer cet épisode au vrai rire, celui qui s’entend, celui qui s’esclaffe !

Exemples de jeux

Quel rapport avec le jeu ?

Vous connaissez le topo. On commence par quelques exemples :

À Château Aventure, la description du vilain du scénario fait éclater Gisèle de rire.

À Selfie Safari, Marguerite imite le héron avec une conviction telle que toute l’assistance explose spontanément de rire.

À Jungle Speed, Hercule attrape vivement le totem en s’exclamant “je l’ai, cette fois je l’ai” avant de s’apercevoir que, cette fois, il aurait mieux fait de laisser le totem tranquille. On éclate tous de rire devant sa mine déconfite et, heureusement, il éclate à son tour de rire en retour.

Ça sent le vécu, non ? Vous-mêmes vous avez sans aucun doute déjà explosé de rire pendant une partie. Pourquoi et comment le rire trouve sa place dans le jeu ?

Essence du jeu

Avant toute chose, je préfère vous prévenir : le rire et l’humour en général sont des sujets complexes, très étudiés et jamais épuisés. Aussi bien au niveau psychologique que philosophique. J’aime bien rire mais je ne suis pas un spécialiste de la question et je ne vais pouvoir que chatouiller ce sujet. Vous voilà prévenues.

L’ineffable attitude

Pour commencer, l’humour est une drôle de chose, difficile à cerner. Je peux me prétendre drôle mais c’est en réalité à la destinataire d’en décider. Ce qui fera rire l’une, laissera l’autre de marbre. Ce qui fera rire le lundi, résonnera sinistrement le dimanche. Impossible donc de définir précisément les contours de l’humour. En fait, ce n’est pas vraiment le sujet qui compte, mais plutôt la façon dont il est réceptionné. Pour pouvoir rire il faut avant tout être dans une posture adéquate. Le fameux “sens de l’humour”.

Mais. Ces caractéristiques sont étrangement ressemblantes à un autre objet bien connu de nos services : le jeu. Et oui. Le jeu aussi est difficile à définir ou délimiter, entièrement subjectif et dépendant avant tout de l’attitude du destinataire, la fameuse “posture ludique”.

C’est le premier rapprochement qu’on peut faire entre l’humour et le jeu : sa subjectivité totale.

Le pas de côté de la réalité

Ensuite, beaucoup de choses peuvent déclencher le rire. Souvent il s’agit de pointer du doigt une incongruité, le ridicule, l’absurdité d’une situation de la vie courante. Exagérer un comportement, se moquer d’une différence.

On peut voir l’humour comme une forme de prise de recul sur la vie. Un pas de côté de la réalité pour révéler et dédramatiser l’absurdité de nos existences et de nos comportements.

Et tiens, là aussi, on pourrait dire la même chose du jeu. Un pas de côté de la réalité pour transformer le sérieux en sujet d’amusement. Pour singer et dédramatiser la réalité quotidienne.

C’est là le second rapprochement qu’on peut faire entre l’humour et le jeu : une mise à distance de la réalité.

La communication

Enfin, ce sont deux comportements éminemment sociaux, des formes de communication censées souder le groupe.

Frères amis

Incroyable, non ? Comme ces deux notions, humour et jeu, se recoupent. Comme elles semblent obéir au même désir profondément humain de s’éloigner un instant de la réalité pour mieux la désacraliser et ainsi moins en souffrir. Comme si le jeu et l’humour étaient des contextes, au départ un peu forcés, pour retrouver un peu de gaîté dans ce monde qui nous échappe.

Ouch. Et oui. En fait, ce sujet n’est véritablement pas très drôle. Mais restez-ici, le remède arrive.

En passant, le vocabulaire trahit d’ailleurs ce rapprochement. On dit des “jeux de mots” mais ce sont moins des jeux au sens où on l’entend que des procédés comiques. Par ailleurs, on joue la comédie. On joue un tour à quelqu’un, etc.

Valeur ajoutée

Mais pourquoi pas rire ? Je crois qu’il n’est pas nécessaire de vous en vanter l’intérêt. Rire, c’est plaisant, relaxant et même thérapeutique.

Gaîté révélée

Or, le premier objectif avoué du jeu est la recherche du fun. Et par fun, on entend un moment plaisant, un moment gai et, à son paroxysme, le fameux rire.

Le rire surtout est un révélateur. Le révélateur d’une gaieté soudaine, surprenante pour celle qui rit et immédiatement partagée avec les autres. Si le jeu parvient à faire rire, c’est qu’il est, au moins à ce titre, réussi !

Abandon

Plus encore, le rire est aussi le révélateur d’une complicité ou au moins d’une sensation de confiance. Le seul rire qui vous échappera dans une situation de malaise ou de danger sera un rire nerveux, loin de l’humour dont on parle ici. En revanche, pour rire aux éclats, il faut être à l’aise et sans peur du regard des autres. Il faut s’abandonner à la situation et aux autres participantes. Peu de situations le permettent aussi bien que le jeu.

Absences

Attention, cependant, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Le fun recherché dans le jeu est bien sûr protéiforme et toutes les formes de jeu ne cherchent pas à faire rire.

Certaines catégories, le jeu de gestion, le jeu compétitif, semblent même à première vue réprimer l’humour pour, au contraire, s’affirmer comme des formes éminemment sérieuses du jeu. Une compétition officielle d’échecs ou de poker ne déclenche guère d’hilarité. Même si à mon avis quand la légèreté n’est plus permise et la gaieté proscrite je peine à encore appeler ça du jeu.

Dérives

J’ai parlé jusqu’à maintenant des effets bénéfiques et bienveillants du rire. Mais on peut aussi rire aux dépens de quelqu’un, c’est même sans doute la façon la plus simple de faire rire.

Mais je n’ai pas le sentiment que le jeu de société joue beaucoup à ça. On pense bien sûr à Cards against the limite coco qui tente l’humour corrosif aux dépens de tout ce qui passe mais je vois ça naïvement comme une anomalie dans un océan de bienveillance.

En effet, généralement, le jeu d’ambiance met plutôt les joueuses elles-mêmes dans des situations décalées ou ridicules pour que les pratiquantes rient, mais rient d’elles-mêmes et pas des autres. Ce qui change tout. On en revient à l’essence du jeu et de l’humour : dédramatiser le sérieux qui nous entoure et même notre propre prise au sérieux.

Mécaniques

Mais concrètement, comment déclencher le rire ? Quels principes les créatrices de jeu peuvent-elles mettre en œuvre pour voir nos gorges déployées ?

Sans prétention d’exhaustivité aucune, voici quelques pistes.

L’humour du texte

La première façon de faire rire c’est d’être drôle. L’autrice de jeu peut parsemer son jeu d’éléments comiques : dans le scénario, dans le texte des éléments de jeu, dans les illustrations.

Mais dans les faits, le jeu de société n’est pas le média qui y parvient le mieux. Sans doute parce que l’humour est souvent affaire de tempo. L’incongruité comique qui sera bientôt révélée doit être secrètement mise en place, lentement amenée avant d’éclater au grand jour et provoquer le rire. Dans le jeu, l’autrice ne maîtrise pas ce rythme et ça rend le pouvoir comique bien moindre.

Dans les jeux sans scénario, la rejouabilité est aussi un piège à humour. Telle carte de Munchkin qui prête à sourire à la première lecture, fera à peine lever un sourcil à la partie suivante puis ne sera même plus réellement lue.

Je ne pense donc pas que le jeu soit le meilleur support à ce type d’humour de l’autrice vers les joueuses.

Le ridicule de situation

Le potentiel comique du jeu de société se trouve surtout, comme on l’a déjà dit, chez les joueuses Le jeu place les joueuses dans des situations incongrues mais sans réelles conséquences. Les autrices peuvent donc tenter de créer un espace de jeu qui favorise la confiance entre les participantes tout en distillant un léger inconfort qui va révéler l’absurdité de la situation et libérer le rire.

Le rire étant souvent lié à une surprise, le hasard en est aussi un bon déclencheur. Le sort qui semble s’acharner sur une joueuse par exemple. Un rapprochement inattendu entre deux cartes successives. Tout est prétexte à en rire.

C’est là la très grande force du jeu : créer une situation sans danger et qui ne demande qu’à permettre l’éclosion du rire.

À l’inverse, il faut éviter de créer une situation où une seule participante est ridicule et les autres spectatrices car le rire ainsi créé exclurait cette joueuse. Il faut bien sûr aussi veiller à ne pas pointer du doigt les sujets sensibles ou les différences.

Prétexte

Mais si on regarde d’un peu plus loin, les mécaniques de jeu ne sont pas si essentielles. Quand le jeu est un prétexte à l’amusement, les joueuses se placent d’elles-mêmes dans une posture qui les rend réceptrices au jeu et à l’humour. Relaxées, confiantes, prêtes à rire.

Il en faudra très peu pour que le jeu parvienne à les faire rire. Si ce n’est pas le jeu lui-même, ce sera ce qui se passe autour, les interactions, les échanges qui déclencheront tout ça. Quand on parle de jeux d’ambiance, c’est de cette ambiance là qu’il s’agit. Chargée d’ondes positives, prête et prétexte aux excès de gaîté.

Conclusions

En conclusion, le jeu est un formidable terrain de jeu pour le rire, je ne vous apprend rien.

Déjà parce que, par essence, le jeu et l’humour partagent beaucoup : leur subjectivité, leur mise à distance de la réalité, leur caractère social.

Mais c’est aussi parce que le jeu crée une zone protégée qui met à l’aise les joueuses, qui instaurent la confiance et libèrent ainsi le rire.

Je ne cherche pas à dire que le jeu est destiné uniquement à faire rire. Les formes du jeu sont multiples et certaines tentent d’autres objectifs. C’est tant mieux.

Mais ne boudons pas le plaisir simple et nécessaire d’une bonne crise de fou-rire collégiale et complice, que seul le jeu sait susciter aussi vite et innocemment.

On se retrouve le mois prochain pour parler d’une autre émotion sociétoludique, d’ici là, jouez bien et… riez jusqu’à plus soif !


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