Rédiger une règle de jeu : Soignez vos exemples
Dans cette série de billet, je propose des conseils pour la rédaction de règles de jeu de société.
Les règles d’un jeu de société ne sont pas constituées que de textes : les exemples illustratifs sont un pan entier de la règle à ne surtout pas négliger.
De l’utilité des exemples
« Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours ». Pas tout à fait. Dans le cas de la « loi » que constitue la règle d’un jeu de société, le texte reste indispensable. Mais l’exemple illustré complète efficacement l’apprentissage des mécaniques du jeu à plusieurs niveaux :
- Concrétisation : La lectrice de la règle de jeu n’a pas forcément le matériel du jeu étalé devant elle. Les exemples mettent en scène le matériel, rappellent leur usage et concrétisent le déroulé de la partie de jeu. Une solution encore plus nécessaire aujourd’hui quand on lit la règle en PDF alors qu’on n’a pas la boîte de jeu sous la main (voire qu’on ne la possède pas encore) et qu’on veut éviter les allers-retours incessants à la section « Mise en place » du livret.
- Répétition : L’apprentissage ne se fait pas à la première lecture. Les exemples sont un moyen de redire la même chose sous une autre forme pour renforcer la mémorisation.
- Précision : Rédiger une règle de jeu oblige à faire des choix. Impossible de tout expliciter sinon la règle du jeu le plus simple tiendrait en un lourd pavé. Les exemples peuvent aussi permettre d’expliciter à peu de frais certains points implicites.
- Séduction : Enfin les exemples sont quelque part une mise-en-bouche offerte à la lectrice-joueuse avant le passage au plat principal, la partie de jeu !
Règle 1 : Doser les exemples
La place offerte aux exemples dans une règle varie bien sûr en fonction du public visé et des choix éditoriaux.
Usage modéré
Les règles des jeux des société d’édition comme Abacusspiele ou Oya sont connus pour leur sobriété volontaire, facilitée par l’édition de jeux de petit calibre. Tout y est dit, rien ne dépasse. On fait confiance à la joueuse pour peser chaque mot. Ces règles contiennent donc peu d’exemples et s’il y en a avec un minimum de visuels.
Dans la vidéo « La règle idéale ??? » sur sa chaîne YouTube, Sébastien Dujardin (patron de la maison d’édition Pearl Games et auteur célèbre de jeux notoires) va jusqu’à dire qu’une bonne règle ne devrait contenir aucun exemple, le texte se suffisant à lui-même.
Sans aller jusque-là, il est vrai que trop d’exemples risquent de diluer le message et perturber la lisibilité et donc l’apprentissage. Sans compter que la taille du livret de règles est aussi un obstacle potentiel à l’adoption par les joueuses.
Mais ce que dit surtout Sébastien Dujardin c’est que l’exemple ne peut pas sauver une règle mal rédigée. Il faut avant tout travailler le texte et n’utiliser l’exemple qu’en renfort. Il cite ainsi l’exemple de la règle de Narak qui, sur 13 pages, comprend « seulement » 5 exemples de mise en situation et reste cependant un modèle du genre.
Usage généreux
Aujourd’hui pourtant la tendance semble à la multiplication des exemples. Quittent à être plus longues, les règles de jeu se veulent plus aérées et très illustrées, autant dans un souci de mise en page attractive que d’effort pédagogique.
Un éditeur comme Catch Up Games a, par exemple, pour habitude d’avoir des règles généreuses en exemples.
Cela s’inscrit aussi sans doute dans une démarche d’apprentissage qui se fait de plus en plus par l’image. Les joueuses qui regardent fréquemment des vidéos d’explications de règles apprécieront sans doute une règle truffée d’exemples qui concrétisent le pas-à-pas d’une partie.
Comment doser ?
Entre deux dosages aussi éloignés, difficile de choisir. Voici quelques pistes pour identifier les sections de la règle qui profiteraient bien d’un exemple illustratif :
- Les actions de jeu nécessitant plusieurs manipulations du matériel. La mise en place initiale du jeu étant l’exemple que l’on trouve quasi systématiquement en début de livret.
- Les actions de jeu complexes, nécessitant interactions et calculs. Le calcul du score est également un exemple fréquemment rencontré.
- Les actions de jeu peu naturelles en première lecture. Des coups qui peuvent paraitre surprenants quand on découvre le jeu et qui, placés ici dans la règle, font déjà entrevoir les subtilités du jeu à la lectrice.
Règle 2 : Mettre en situation
Pendant la lecture des règles, la joueuse se construit mentalement un schéma de la partie de jeux pour en comprendre le déroulement et les imbrications. Des exemples bien choisis et bien placés lui facilitent ce travail en concrétisant pour elle une partie fictive.
Dans les faits, les exemples mettent en scène des situations de jeu d’une possible partie, inventée pour l’occasion, et décrivent par le menu les actions réalisées par ces joueuses imaginaires.
On pourrait consacrer une étude au choix des prénoms utilisés pour les joueuses de cette partie fictive. C’est parfois pour les autrices et éditrices l’occasion de boutades ou de remerciements déguisés.
Autant que possible, il faut essayer de filer les exemples entre eux en déroulante une partie réelle : les mêmes joueuses dans des situations de partie cohérentes dans leur succession.
Dans l’idéal, un exemple doit être composé d’un visuel du matériel de jeu à ce stade de la partie et d’une légende descriptive. Cependant, si l’action de jeu se déroule en plusieurs lieux de la scène de jeu, il reste possible de multiplier les visuels. Attention cependant à ne pas tomber dans le piège d’un exemple qui veut tout raconter.
Règle 3 : Positionner les exemples dans la règle
Les exemples doivent évidemment être placés juste à côté du point de règle qu’elles illustrent. Soit dans le déroulé du texte soit dans une colonne dédiée en vis-à-vis.
Règle 4 : Distinguer graphiquement les exemples
Il est d’usage de distinguer graphiquement les différents éléments de contenu d’une règle pour faciliter la lecture. Les exemples prennent ainsi place sur un fond différent du texte principal et sont souvent rédigés en italique.
Parfois chaque bloc d’exemple est même précédé de la mention « Exemple » pour ne laisser aucun doute !
Règle 5 : Glisser un contre-exemple
Les joueuses sont tordues.
Si si.
Aussi claire que soit la règle, elles trouveront matière à s’interroger, surtout si leur victoire est en jeu !
Par principe, la règle se suffit à elle-même et ce qui n’est pas dit n’a pas cours dans le jeu. Mais ça ne suffit pas toujours à calmer les esprits. Les exemples sont alors un moyen de lever toute (fausse) ambiguïté.
Profitez d’un exemple pour y glisser, au passage, un contre-exemple coupant court à une mauvaise interprétation possible de la règle.
Synthèse
Les exemples sont un aspect fondamental des livrets de règles de jeu de société. Bien choisis et mis en scène, ils vont beaucoup jouer dans la facilité de découverte et d’apprentissage du jeu. Pourtant ils peuvent aussi alourdir la règle et perturber sa lecture. Certaines joueuses en raffolent et d’autres ne prennent même pas le temps de les regarder. Soignez donc vos exemples :
- Choisissez les points précis de la règle qui méritent un exemple. N’utilisez des exemples que s’ils apportent quelque chose au texte et jamais pour le remplacer.
- Mettez en scène les moments clés d’une partie plausible.
- Placer les exemples à côté du point de règle visé.
- Distinguer graphiquement les exemples.
- Profitez-en pour y glisser quelques contres-exemples judicieusement choisis.
À lire sur le sujet :
- Un cas d’école de livret de règles devenu incompréhensible par surabondance d’exemples : e.g. by Tom Russel (en anglais)
Note : les conseils prodigués ici n’engagent que moi et vous pouvez tout-à-fait questionner ma légitimité à ce sujet et réagir en commentaire !
Les extraits de règles sont les propriétés intellectuelles de leurs éditeurs respectifs.
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