La critique est facile…

Détail du tableau "Pollice Verso" de Jean-Léon Gérôme (1872) : le public fait le signe de mise à mort au gladiateur dans l'arène

Je suis retombé cette semaine dans un débat à la châtaigne sur ce que devrait être une bonne critique de jeu de société. Cela m’a donné l’envie de mettre par écrit quelques sentiments personnels sur la subjectivité du goût et le rôle possible de la critique. Le blog offrant l’opportunité de poser une pensée en plus de quelques caractères éparpillés, je saisis cette chance avec délectation !

J’ai le sentiment en écrivant sur le sujet de rouvrir une sempiternelle discussion qui finit et finira toujours en impasse. L’impression aussi que des milliers de choses très sensées ont déjà été dites sur la critique et que je m’exprime sans les avoir consultées et encore moins digérées. Pour l’humilité, on repassera. Pour la concision aussi. Mais place à l’article :

Polysémie

Comme toujours, si le débat s’enlise c’est qu’on parle en réalité de choses différentes. Tout le monde a sa propre compréhension et sa vision de ce qu’est une « critique ».

Les défenseuses de la critique l’éloignent de la présentation ou du simple avis. Les autres ne voient pas en quoi elles diffèrent d’une revue ou d’un test et y suspectent des relents de snobisme. Ce flou du terme fait rage dans tous les domaines culturels et le jeu ne fait pas exception.

Comme c’est présentement moi qui ai la parole, je vais plaider ma propre conception de la chose et plutôt de dire ce qu’elle est, je vais commencer par dire ce qu’elle n’est pas.

La critique, à mes yeux, diffère :

  • De la présentation factuelle d’un jeu (matériel, règles, histoire de la genèse, etc.) ;
  • De l’analyse du jeu (décortication de ses ingrédients pour tenter d’en comprendre la recette) ;
  • De l’appréciation sans autre commentaire ;
  • D’un guide d’achat ;
  • Du pari sur un succès public et critique.

Il est donc bien possible que nos avis diffèrent déjà ici. Mais restez quand même.

Bons et loyaux services

La critique fait aussi débat car elle ne sait pas se décider entre plusieurs objectifs et plusieurs publics.

Quand on lit ce qu’on appelle une « critique d’un film » dans un magazine spécialisé, c’est à la fois pour se décider avant d’aller voir le film mais aussi pour comparer sa propre appréciation avec celle de la critique mais aussi pour apprendre des choses sur un film qu’on n’ira peut-être jamais voir.

La critique s’adresserait donc parallèlement aux futures spectatrices, à celles qui ont déjà vu le film et à celles qui ne le verront jamais ?! Il faudrait donc allécher, instruire, convaincre. Pas étonnant qu’on s’échine à définir ce qui fait une bonne critique quand elle vise des résultats aussi antagonistes.

Ô ma critique

Mais revenons à mes moutons. Ce que je vais qualifier de « critique » dans cet article, ce sera simplement la critique que j’ai envie de lire.

Comme mon temps est précieux (le vôtre aussi, pas de jalouse), je lis chaque critique pour qu’elle m’apporte quelque chose de neuf. Quelque chose que je ne trouve pas dans la page du jeu sur une boutique en ligne, quelque chose que je ne trouve pas dans les règles, quelque chose que je ne trouve pas dans le carnet d’autrice. Quelque chose d’inédit et d’original. Quelque chose surtout de personnel.

Pour le dire simplement, la critique que j’appelle de mes vœux est un « avis argumenté ». Avis personnel cela va sans dire. Ah zut, je viens de le dire.

Avis personnel pour une simple et bonne raison : il m’est impossible de prédire l’effet que ce jeu aura sur mes contemporaines. Il serait bien prétentieux de le faire. Je ne peux en réalité que parler en mon nom.

Je ne vais pas réussir à faire autre chose que de la paraphrase maladroite de grandes idées philosophiques et sociologiques donc allons-y franco. Tout ce que je vois du monde, je le vois à travers moi-même. Je n’ai pas d’accès à une vision universelle, extérieure à mon prisme personnel. Or je suis moi-même le résultat d’un contexte (historique, social, culturel, familial, etc.) et d’une trajectoire. Comment dès lors prétendre m’extraire de tout ça pour atteindre une vérité extérieure. Et qui suis-je pour croire être le détenteur d’un tel pouvoir ?

La formation du goût

Je me méfie dès lors des déclarations d’objectivité qui ne sont toujours que de la subjectivité majoritaire à peine déguisée. Encore davantage dans le domaine culturel ou tout n’est finalement qu’histoire de goûts.

Croire qu’un jeu peut être intrinsèquement et définitivement un bon jeu, c’est penser qu’il existe quelque part une échelle qualitative du jeu que les critiques tenteraient d’approcher. Une échelle insensible au contexte historique, social, culturel, moral. Pourtant les exemples sont nombreux de jeux dont la qualité perçue a évolué dans le temps. À l’échelle personnelle bien sûr, au fur et à mesure que ma propre culture ludique s’étoffe et que mes goûts évoluent. Mais aussi à l’échelle collective ou des courants de pensée critique vont et se défont, dévalorisent les étoiles du passé et revalorisent les oubliés de l’histoire. On pourrait citer l’exemple d’Hitchcock que la critique a réévalué pour transformer un faiseur ignoré en un génie du septième art.

Les pratiques évoluent, les attentes du public aussi. Ce jeu vient chasser tel autre. Ce mécanisme me lasse. Les agissements de cet auteur ou éditeur me font revoir leurs créations d’un autre œil. Ma réception n’est pas immuable, loin de là.

Et puis « bon comment ? », « bon à quoi ? ». Si seulement on savait définitivement et unilatéralement à quoi sert le jeu, peut-être pourrait-on identifier ceux qui y parviennent. Mais ce n’est pas le cas. Le jeu sert à tout et rien. Porter un jugement sur la qualité d’un jeu serait donc aussi porter un jugement sur le rôle du jeu en général. Audacieux.

Comment dès lors penser qu’un jeu peut être objectivement bon ? À quel moment la critique peut décider qu’elle a atteint l’absolu du jugement et qu’il n’y aurait pas à y revenir ?

Tout est subjectif

Puisque ma définition personnelle associe la critique à un « avis argumenté », il faut cependant bien parler des arguments mis à l’œuvre.

Celles qui défendent la critique mettent en bonne place les critères objectifs sur laquelle elle se base. Décortiquer les éléments d’un jeu, interpréter ce que ces éléments tentent de provoquer, y déceler les intentions de l’autrice. On peut aligner les faits et ça peut même être une bonne base analytique à la critique. Mais ce n’est ni suffisant ni même nécessaire.

Je peux dire que ce jeu est long, peu accessible, que ces mécanismes sont déjà vus et qu’il souffre d’un défaut d’édition. C’est une information importante et qui vaut déjà beaucoup mieux que de simplement dresser la liste du matériel ou de paraphraser les règles.

Mais la critique ne commence réellement que quand, sur la base de cette déconstruction, je reconstruis ce que ces éléments provoquent chez moi. La liste des faits ne vaut rien sans conclusion personnelle. D’ailleurs, deux personnes peuvent aligner la même liste de vérités factuelles sur un même jeu et conclure à l’opposé. Ce jeu est convenu, mal édité et ne correspond même pas à ce que j’aime d’habitude et pourtant

C’est dans ce « et pourtant… », cet instant ou la magie ludique provoque davantage que la somme de ces parties, que le regard critique devient utile et magique à son tour.

Autrement dit, les critères factuels peuvent alimenter une critique mais ils ne s’y substituent pas et ils ne suffisent pas non plus à faire autorité. La critique reste imminemment subjective et c’est tant mieux.

Le recul nécessaire

On trouve souvent l’idée qu’une bonne critique sait prendre du recul sur sa propre subjectivité. Qu’elle peut exposer un jeu qu’elle sait être bon même s’il ne lui plait pas personnellement. Je ne suis pas du tout convaincu par cette idée.

Certes la critique peut avoir du flair, de l’expérience et croire pressentir ce qui plaira. Mais ce ne sera qu’une supposition. S’il y avait une recette pour faire systématiquement un bon jeu, les autrices et éditrices feraient moins de paris sur l’avenir. S’il y avait une recette pour savoir si un jeu va bien se vendre, les distributrices feraient des prévisions plus précises et les volumes de tirages seraient moins aléatoires.

Surtout, les critiques qui prétendent à cette prise de recul finissent par conclure par un tiède « ça plaira à celles qui aimeront ». Conclusion qui n’apporte rien à personne et qui fait retomber tout l’article dans la simple présentation de jeu.

La critique peut reconnaître des qualités objectives à un jeu, qu’il est bien conçu, édité, fabriqué. Mais ça ne suffit pas à faire un jeu qui remplit son rôle. S’il ne m’émeut pas moi-même (positivement ou négativement), est-ce que ça valait vraiment la peine de prendre la plume pour parler ? On peut estimer qu’un jeu répond à ses propres objectifs mais qu’on est soi-même pas la cible des ces objectifs. Là aussi, ça me parait étonnant de pouvoir dire qu’un jeu fonctionne, je vous l’assure, mais pas chez moi. L’intérêt d’une telle critique reste tout autant léger voire nul. Sauf, encore une fois, si c’est sur cette appréciation personnelle, ce décalage entre ma perception et celles des autres, que porte la critique !

En tout cas ce ne sont pas là les critiques que j’ai envie de lire. Je préfère de loin celles qui embrassent leur subjectivité.

On peut dire que Root est un jeu « intéressant » et « bien fait ». On peut exposer ses qualités factuelles, relater les intentions exprimées par son auteur et conclure donc sans doute qu’il s’agit pour beaucoup d’un « bon jeu ». Mais pas pour tout le monde n’est-ce pas  ? C’est là que ça devient intéressant. Tenter de comprendre ce qui provoque cet enthousiasme délirant chez certaines et ce rejet en bloc chez d’autres. Pas pour me démontrer que j’ai tort d’en penser ce que je pense mais pour m’exposer des avis contraires et parfaire si ça se trouve mon opinion.

Il ne s’agit pas non plus de critiquer uniquement les jeux qu’on adore et ceux qu’on déteste mais, quelque soit le jeu et mon appréciation, d’adopter un angle de vue personnel.

D’ailleurs, le débat sur la critique est souvent avare en exemples concrets. Car autant on peut sur le papier dire qu’il existe des bons jeux et d’autres mauvais, autant dès qu’il faut en citer un, ça devient plus compliqué. Car il est évident pour tout le monde qu’il y aura toujours des arguments entendables et instructifs pour démonter l’exemple.

Toutes les opinions se valent ?

Dire que tout est subjectif effraye car on peut rapidement en conclure que toutes les opinions se valent. Et par là que tous les jeux sont égaux. C’est un piège réel qu’il faut examiner.

Pourtant, ce n’est pas parce que tout est subjectif, qu’il n’y a pas des consensus qui émergent. Si la réception critique est unanime c’est qu’on tient là un jeu singulier qu’il faut au minimum considérer.

Ce n’est pas non plus parce que tout est subjectif, que je n’ai pas le droit de défendre bec et ongles mes propres opinions et fustiger (oui oui) celles qui pensent différemment. Ça fait même partie du jeu.

La critique permet de formaliser les canons esthétiques du medium. Elle peut autant guider les goûts que les suivre. Elle participe dans tous les cas à l’établissement d’une opinion générale.

La critique pointe du doigt. Dans leur excellente émission « Sortons le grand jeu » du podcast Proxi-jeux, Cyrus et Le Pionfesseur reviennent chaque épisode sur un jeu de société marquant. Le titre est parlant, il s’agit de « grand jeu », pas de « bon jeu », la nuance est de taille. Un jeu est « grand » ou important car il a été bien accueilli critiquement et publiquement, qu’il a fait beaucoup parler, qu’il a influencé, que l’histoire s’en souvient. Des éléments factuels même si on peut toujours contester.

On peut donc dire que Pandemic est un grand jeu, plus que Kikafé. On peut dire que Pandemic plait beaucoup ou plaisait beaucoup à sa sortie mais moins aujourd’hui. On peut penser que Pandemic est un bon jeu. On peut dire que c’est un bon jeu aux yeux de la majorité. Mais qui peut prétendre que Pandemic est objectivement un « bon jeu », en dehors de tout contexte, et y voir là une vérité absolue qui en dit plus que le simple fait qu’il plaise à beaucoup ?

À l’inverse, Blanc Manger Coco est-il un bon ou un mauvais jeu ? Quels arguments font autorité en la matière ? Les ventes ? Le plaisir ludique ? La réception du public ? La presse ? Les critiques spécialisés ? Le jugement des passionnées ? Le fait même qu’il soit un plagiat en fait-il un mauvais jeu là ou l’original était meilleur ?

Est-ce que je pense qu’il faut donc apporter autant de crédit et de respect à Pandemic qu’à Blanc Manger Coco ? Pas du tout ! Je suis intimement persuadé qu’ils n’ont pas la même valeur, ni à mes yeux ni aux yeux du monde. Que l’un apporte beaucoup plus que l’autre. Je ferai tout pour le prouver. Mais je suis prêt aussi à entendre dire l’inverse et même à me laisser convaincre si les arguments font mouche. C’est la règle à suivre.

Ce n’est pas parce que la qualité ludique reste et restera subjective, qu’on ne peut pas construire sur ce jugement de valeur. On peut toujours écrire des tops, rédiger des thèses, discerner des prix. On peut placer des jeux au musée et en oublier d’autres.

Embrasser cette subjectivité n’est pas un frein à faire de grandes choses. C’est au contraire libérateur et très riche. La critique ne cherche plus à atteindre un absolu caché mais « seulement » à partager une vérité personnelle. Pas besoin de tout connaître sur les jeux, de pratiquer depuis 10 ans ou de connaître tout le jargon ludique. Il faut se connaître soi et ce n’est déjà pas si facile.

Tout ça pour ça !?

Si par « bon jeu » on entend un « jeu majoritairement estimé comme bon », continuons à parler de « bons jeux » sans plus de circonvolutions. Si par « bon jeu » on entend « un jeu important », ça me convient aussi. Et ça valait bien la peine d’écrire tout ça pour en arriver là.

Tant qu’on reste humble sur ce jugement de valeur et sa portée relative.

Hiérarchiser les jeux est un exercice intéressant, je ne le nie pas du tout. C’est prétendre le classement universel et définitif qui m’inquiète. Car il faudrait ensuite prouver ce qu’on avance et refuser d’entendre celles qui ont un avis contraire. Il faudrait donc décider que les bonnes critiques sont celles qui vont dans notre sens et les mauvaises ceux qui pensent différemment. Ou que les bonnes critiques sont celles qui pensent comme la majorité et les mauvaises celles qui pensent autrement. Tout aussi triste et contre-productif.

Faites l’exercice : trouvez un jeu que tout le monde considère bon mais que vous trouvez vraiment mauvais. Est-ce que vous êtes prêt à reconnaître que c’est un bon jeu puisque tout le monde le pense ainsi ? Mais que signifie « bon » alors dans cette phrase sinon l’avis majoritaire ?

Grammaire ludique

N’allez pas croire non plus que je suis contre l’autopsie des jeux. Décortiquer les jeux, l’histoire de leur genèse, leur positionnement dans l’histoire des jeux, les pattes d’autrices et les lignes éditoriales. Établir une grammaire sociétoludique qui épingle les ludèmes thématiques, mécaniques, matériels et sensibles. Formaliser les canons esthétiques (au sens large) du médium. Organiser les genres et les catégories. Tout ça est non seulement utile mais aussi passionnant ; un jeu dans le jeu et un de mes préférés !

Cette pratique je ne l’appelle pas « critique » mais plutôt « analyse ludique » en rapprochement d’une analyse filmique ou d’une analyse de texte. Une déconstruction qui alimente la compréhension et peut faciliter la critique. Mais qui n’est qu’un instrument parmi d’autres dans la boîte à outils de la critique.

La critique est dans mon opinion le partage d’un regard personnel. Ce qui prime c’est la retranscription de ce regard et une prise de recul sur ce qui y a amené. Mais cette prise de recul n’est pas forcément à chercher du côté de la déconstruction analytique. Je peux aussi détester ce jeu pour son auteur, l’adorer pour son thème, le respecter pour son parti-pris original, l’apprécier pour ce qu’il me remémore ou simplement reconnaître le plaisir qu’il m’apporte. Si je parviens à transmettre ce ressenti, j’ai émis une critique utile.

Éléments de discours

En lisant une critique de jeu, je ne cherche pas à savoir ce que je dois penser. Je ne cherche pas non plus à valider ce que je pense déjà. Non.

Je cherche à en apprendre plus sur le jeu au sens large. Le regard que la critique porte sur le jeu est riche d’enseignement. Elle me fait percevoir des choses que j’avais ignoré. Elle me donne à voir d’autres points de vue. Elle met des mots sur des sentiments que je peinais à verbaliser. Elle alimente le discours sur le jeu et la pratique.

Il ne s’agit donc pas d’atteindre une vérité mais plutôt d’alimenter une vaste conversation.

À cela se rajoute le simple plaisir d’écrire et de lire de la critique pour son ton et sa forme.

Avis de tempête

Si la critique ne sert qu’à éclairer la compréhension du jeu d’un nouveau point de vue, faut-il forcément l’associer à un avis personnel ?

Vous faites bien de poser la question car elle me gêne aux entournures. Le partage d’un regard personnel suffit à contenter ma soif de nouvel éclairage. L’avis global sur l’expérience du jeu n’est sans doute pas nécessaire à la critique. En revanche, puisque la critique m’expose un angle de vue personnel, elle partage forcément une opinion (potentiellement partielle) sur le jeu ou un de ses éléments.

Ingrédients critiques

Et concrètement, comment on fait une bonne critique ?

Ah ça, si je le savais et je savais m’y prendre, ma fortune serait faite.

La recette je ne la connais pas mais ce dont je suis convaincu c’est qu’il faut de l’engagement et du recul. Puisqu’il s’agit de donner à voir ce qui nous meut, il faut à la fois être en capacité de s’émouvoir (l’ennui étant une forme d’émotion) et en capacité de comprendre ce qui se trame en nous.

La recette étant inconnue, n’écoutons donc pas celles qui prétendent définir quelles sont les critères nécessaires pour faire une bonne critique. Ne cédons pas non plus à ce qui apparait trop souvent comme les devoirs de toute critique.

Au contraire, il faudrait cultiver les droits de la critique à ne pas se contraindre à ce qu’on attend d’elle. On peut tout à fait critiquer :

  • En ayant très peu joué au jeu (et même parfois, osons le dire, sans y avoir joué) ;
  • En n’ayant pas essayé toutes les configurations possibles ;
  • Sans connaître les jeux qui l’ont précédé ;
  • Sans respecter un format précis ;
  • Sans évoquer tous les éléments de jeu : la critique peut s’appuyer sur un seul point de détail si ça lui chante ;
  • En étant influencée par des éléments extérieurs au jeu lui-même (ma connaissance des créatrices du jeu, mon moral du moment, les conditions des parties jouées, etc.) ;
  • En étant de mauvaise foi ;
  • En cherchant à se faire mousser ;
  • Sans savoir bien écrire.

Car aucun de ces critères n’est un réel obstacle à un regard intéressant ou une critique légitime. En contrepartie, bien sûr, rien ne nous oblige à lire ou à considérer toutes les critiques comme pertinentes. Chacune fait ses choix de lecture comme bon lui semble.

Ces droits de la critique doivent permettre d’éviter le piège d’une critique réservée à une caste d’érudits beaux-parleurs dont il faudrait vénérer la sage parole. Ce serait cultiver le risque d’une critique en vase-clos qui soliloque au lieu d’écouter la diversité des opinions. Le seul résultat serait d’appauvrir la discussion au lieu de l’enrichir.

Avec des pincettes

Pour autant, est-ce qu’on peut nier les effets et donc les responsabilités de la critique ? La critique peut froisser les créatrices du jeu mais aussi son public. Elle peut avoir un impact (minoré il me semble mais là n’est pas la question) sur la réception générale du jeu et par là sur ses ventes.

La critique doit en avoir conscience mais ça ne doit pas la brider dans sa propre créativité. Toute œuvre publiée s’offre aux commentaires du public. La critique n’a pas à prendre des pincettes, à ménager les susceptibilités, à anticiper d’éventuelles conséquences.

Il n’est donc pas nécessaire de préfixer chaque phrase par « À mon avis ». Les lectrices savent que la critique parle en son nom propre. Dans mon idéal, la critique et son public savent aussi que la subjectivité est entièrement à l’œuvre.

Mais en contrepartie là aussi, une critique qui ne respecte pas son objet et son audience peut s’attendre à être traitée de la même manière. Ce n’est que justice.

Idéalement, à mes yeux, la critique est honnête et transparente sur le contexte de la rédaction. Je préfère aussi qu’elle soit engagée mais humble, sans prétention de vérité. Qu’elle évite les bons mots pour les bons mots et l’attaque personnelle. Mais là encore, ce ne sont que mes goûts en la matière.

Les règles du jeu

La critique de cinéma, quand elle est courte, se concentre souvent sur l’histoire du film alors qu’il ne s’agit là que d’un des ingrédients de l’œuvre. Mais c’est à la fois l’ingrédient le plus explicable (surtout à l’écrit) et le plus attendu. Le plus immédiat dans l’expérience du public aussi.

Parler d’un jeu de société à un public qui ne le connait pas encore sans évoquer ses règles semble contre-productif. Expliquer les règles par le détail l’est tout autant. Il s’agirait donc d’en expliquer juste assez pour alimenter la critique et rendre le tout compréhensible. L’équilibre en la matière est toujours bancal, il faut s’y résigner

Désillusion critique

La critique que j’aime lire est celle qui alimente ma compréhension du jeu. Pas de son matériel ou de ses règles mais de sa « magie ludique », de ce que provoque la partie.

Le risque pour la critique c’est de devoir réitérer l’exercice encore et encore sur toute la production du moment. Comment, après avoir tout joué et tout critiqué, garder de la place pour l’émerveillement face à cette magie qui opère ? Comment identifier la singularité de ce jeu face à tous les autres ? Comment trouver un angle ou, au pire, un ton original ?

Honnêtement je ne sais pas et ça m’attriste. La professionnalisation critique me semble à la fois une chance et une impasse. Je ne peux qu’espérer que les critiques qui en font leur métier ou au moins une activité récurrente gardent la flamme ou passent à autre chose.

Comme partout, il y aura des critiques plus talentueuses que d’autres, des bons papiers et des moins bons. Car quel que soit le rôle qu’on lui fait porter et contrairement à l’adage, la critique est un art difficile.

Tu as des exemples ?

De la même manière qu’il est périlleux de donner un exemple de « bon jeu », il est impossible de trouver un exemple parfait de « bonne critique ». Là-aussi ce qui plait à droite déplaira à gauche. Un autre angle mort du débat sur la critique ludique.

Mais, pour ne pas vous laisser sans ressource, voici des exemples de critiques que je lis avec plaisir.

  • Dan Thurot nous gratifie sur son site Space-Biff de papiers engagés et érudits. Pas facile d’accès mais si vous cherchez du regard inédit, en voici en voilà (en anglais) : https://spacebiff.com/
  • Les journalistes du magazine Canard PC ont, comme leur nom l’indique, la plume bien trempée. Leurs critiques de jeux de société (en ligne ou en hors-série Jeux de Plateau) sont toujours savoureuses et j’avoue un faible particulier pour celles d’Untilted et de Perco : https://www.canardpc.com/cat%C3%A9gorie/jeu-de-plateau/
  • Les « Just played » d’Atom sur Ludovox sont là aussi des articles riches, réfléchis et qui osent davantage la subjectivité que d’autres formats : exemple avec https://ludovox.fr/sabika-perle-dorient/
  • Toujours chez Ludovox, les vidéos « Dans le viseur » alignent les avis critiques sans langue de bois : https://ludovox.fr/category/video/emission/
  • Au labo des jeux, Teaman pratique la critique qui va droit au but : https://www.lelabodesjeux.com/author/teaman/
  • Chez le podcast Proxi-jeux, les formats « Les Jeux du mois » et « À quoi tu joues ? » font de la critique utile chacun dans son genre : https://podcast.proxi-jeux.fr/

En relisant cette liste, je constate sans étonnement que je cherche avant tout à lire ou écouter des plumes. Plumes que j’ai appris à connaître et dont j’apprécie la subjectivité.

Surtout n’hésitez pas en commentaire à me faire part de vos propres éclaireuses préférées !

Fin

J’ai (enfin) fini de parler. C’est donc à vous de jouer et de critiquer ce propos tout à votre aise, je compte sur votre regard neuf !


À voir et lire sur le sujet, des avis éloignés de mon propre point de vue :

L’image à la une du billet est un recadrage du tableau « Pollice Verso » de Jean-Léon Gérôme (1872)


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