Lectures : Senet, le magazine qui célèbre la beauté du jeu de société

D’un côté une presse économiquement à bout de souffle, de l’autre un jeu de société en pleine forme plus répandu, reconnu et vendu que jamais. À l’intersection de ses deux mouvements contraires, quelle place reste-t-il pour des magazines spécialisés dans notre loisir préféré ?

Certains de ces titres de presse parviennent à durer (Spielbox, Plato Magazine), d’autres se transforment (Tabletop Gaming) et d’autres apparaissent ! C’est le cas de Senet, un magazine anglais, basé à Chesham. Avec un mot d’ordre visible dès la couverture : « Boardgames are beautiful ».

Le premier numéro est paru au printemps 2020, à la suite d’une campagne Kickstarter réussie sur le fil (13 000 € récoltés sur 12 000 demandés). À raison de trois puis désormais quatre publications par an, le onzième numéro vient d’être annoncé.

La couverture du prochain numéro (à laquelle seront tout de même ajouté numéro, sous-titre, code-barre et prix lors de l’impression)

« Boardgames are beautiful »

Une fois l’objet en main, les parti-pris graphiques sautent aux yeux. Les deux fondateurs du magazine, James Hunter et Dan Jolin, veulent proposer un bel objet, dans la tendance des « mooks », ces magazines qu’on peut laisser subtilement traîner sur la table basse ou exposer fièrement dans ses étagères. Notons que James Hunter est lui-même graphiste spécialisé dans l’éditorial et œuvre dans son propre studio (Studio Gybter). Son compère, Dan Jolin, étant lui journaliste et critique de film, notamment pour le magazine Empire.

Les couvertures en sont l’illustration parfaite : le titre du magazine dans son imposante typographie côtoie un visuel presque abstrait et très coloré. Rien d’autre ne permet de savoir les sujets traités ni même la spécialité du magazine sinon son sous-titre très discret.

Le format aussi est étonnant. Plus proche du livre broché que du A4, une tentative de se placer entre la revue et le livre illustré.

Sous couverture

À l’intérieur, la maquette est tout aussi séduisante avec grands effets typographiques et une place importante accordée aux visuels. Logique car Senet entend avant tout fêter l’expérience esthétique du jeu de société même si tous les aspects de la pratique ludique sont bien sûr abordés.

Extrait de Senet n°11

Si on trouve quelques courtes présentations de jeux à venir et critiques de jeux publiés dans les premières et dernières pages, ce n’est pas là l’essentiel du contenu. La sélection d’une dizaine de jeux par trimestre ne peut qu’être restrictive et n’est d’ailleurs jamais réellement expliquée par les auteurs.

Le principal n’est pas là. La partie centrale du magazine est constitué de deux dossiers qui explorent par le menu le premier une thématique de jeu et le deuxième une mécanique. Les sujets d’ordre politique et le mancala (jeu de semis) sont par exemple au sommaire du prochain numéro. Le ton est très journalistique, assumant ses parti-pris. Des actrices du domaine, interrogées pour l’occasion, viennent donner leur point de vue au sein du texte. Infographies et frises chronologiques assoient l’ensemble.

Chaque numéro contient aussi deux longs entretiens, dont un avec une illustratrice, orientation esthétique oblige, agrémenté de ses croquis et dessins. Adrian Smith sera ainsi à l’honneur du prochain numéro.

Double page à volets pour présenter le travail de l’illustrateur Kyle Ferin (Senet n°3 – Winter 2020)

Le magazine fait intervenir plusieurs plumes, dont certaines bien connues de nos services, comme celle de Daniel Thurot, critique de jeu très apprécié œuvrant sur SpaceBiff.

Enfin, l’édito, le courrier des lecteurs et les billets d’opinion complètent les quelque 70 pages d’un numéro. L’occasion de s’interroger sur les aspects sociaux et politiques du jeu.

Extrait de Senet n°11

C’est pas net

Le menu est alléchant mais abordons les sujets qui fâchent.

Comme vous l’avez compris, le magazine n’est disponible qu’en anglais. Rien de rédhibitoire si vous avez l’habitude de lire dans la langue de Sid Sackson bien que le vocabulaire soit soutenu et parfois jargonneur.

Surtout, depuis la France, le prix du magazine est « un peu » prohibitif. Commandable uniquement sur le site officiel du magazine, chaque numéro est vendu £8.00 soit environ  auxquels il faut ajouter frais de port (environ £4 pour la France) et frais de douane (environ £2), Brexit oblige. Soit 16 € du numéro si commandé à l’unité ! Dans mon cas, je les achète par paquet de quatre pour limiter les frais. Le contenu ne périme de toute façon pas vraiment tant qu’on ne court pas après la dernière actualité.

Est-ce qu’un tel magazine peut atteindre la rentabilité économique ? Le premier numéro doit son existence à une campagne de financement participatif mais quatre ans d’existence et onze numéros plus tard publiés avec un modèle payant classique laissent penser que le magazine a trouvé son équilibre financier. Le nombre de parutions est même passé récemment de trois à quatre par an. L’anglais lui fournit bien sûr une audience internationale et Dan Jolin salue dans chaque nouvel édito le nombre croissant de lectrices. Plutôt bon signe.

Jeu gagnant

Senet a donc visiblement réussi son pari de proposer un magazine riche et très esthétique, destiné aux passionnées de jeu de société heureuses de trouver là un média qui flatte leur hobby et donc un peu elles-mêmes.

Depuis la France, sa lecture permet aussi d’entendre d’autres voix et de constater que ce qui agite l’actualité sociétoludique diffère d’un pays à l’autre, même à quelques encablures de là. Les longs entretiens font intervenir sans surprise les têtes célèbres du jeu de société, principalement anglophones (mais l’illustrateur français Naïade est par exemple présent dans le numéro 10). En revanche, les présentations, les critiques de jeux et même le top 2020 de la rédaction évoquent principalement des jeux inconnus de mes services. Difficile à dire cependant si cela s’explique davantage par l’éloignement géographique que par ma propre bulle d’actualité ludique.

Et « Senet », au fait ? C’est bien sûr le nom d’un des plus anciens jeux de société connus, visible sur des hiéroglyphes datant de -3 100, ce qui ne nous rajeunit pas.

Bah dis donc

1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10… Mon sens de l’ordre frise l’apoplexie.

Enfin et surtout, je n’arrive pas à remettre la main sur mon numéro 5. Si c’est vous qui l’avez, faites-moi signe !

 

Crédits : Les photographies sur fond gris sont reprises du site web officiel de Senet. Les autres photographies sont de moi.


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2 réponses à “Lectures : Senet, le magazine qui célèbre la beauté du jeu de société”

  1. Gaume dit :

    Très chouette article pour une belle découverte.
    C’est un magazine que je découvrirais volontiers. Bonne idée de les commander par lot.
    Merci l’acariâtre.

  2. Personne dit :

    Après le magazine Focus: Senet

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