Double jeu : le progrès technique

Dans cette série de billets intitulée « Double jeu », j’essaye de pointer du doigt les différences de pratiques entre le jeu vidéo et le jeu de société et ce que ça nous apprend.


Face A : la révolution permanente

Le jeu vidéo est mis en marche par la machine ; sans elle il n’est rien. Issu des laboratoires informatiques, le jeu vidéo est né comme détournement, exercice et mise en scène des capacités techniques de son époque.

Depuis, jeu vidéo et technologie sont indissociables. Les publicités rivalisent de promesses techniques : plus grand, plus beau, plus fluide et le paradoxal « plus réaliste ». Chaque nouvelle génération de console vante ses propres performances qui mettent au placard la précédente.

La conception de jeu vidéo est à la fois soumise et inspirée par les capacités techniques actuelles. Le game design exploite les avancées technologiques comme autant de nouveaux ingrédients ludiques. L’évolution des contrôleurs de jeux, les capacités graphiques, le jeu en réseau, le smartphone, la réalité virtuelle ou augmentée (pour ne citer qu’eux) autorisent de nouveaux modes de jeux, libèrent les gameplays et créent leurs propres genres. Dans le même temps, le game design reste soumis aux capacités techniques et les développeurs rivalisent d’effort pour en contourner les limites.

Le progrès technique modifie également la façon de construire les jeux. Des outils de plus en plus puissants sont disponibles pour animer le jeu et automatiser certaines tâches de création. Sans parler des impacts du numérique sur la collaboration, la communication et la distribution, communs à tous les domaines d’activité.

La conception de jeux vidéo évolue en s’appropriant les avancées technologiques. Ce qui en fait un media en révolution constante et souvent imprévisible.

Face B : la modernité luddiste

Le jeu de société n’a pas attendu le progrès technologique pour exister. Il a pour lui sa facilité de mise en application. On peut jouer avec un matériel rudimentaire. On peut ouvrir la boite d’un jeu vendu il y a cinquante ans et y jouer dans les mêmes conditions qu’à l’époque. Sans parler des jeux traditionnels dont le matériel et les règles traversent les siècles immuablement ou presque.

Pour autant le jeu de société n’est pas coincé dans le passé, bien au contraire. Il tente continuellement de se renouveler, d’étoffer sa palette d’expériences. Les évolutions technologiques sont un des axes possibles de son évolution. Des jeux dits « hybrides » associent matériel traditionnel et appui du numérique.

Pourtant la technologie reste très majoritairement absente des boîtes de jeux. Introuvable au milieu des éléments de carton, de bois et de plastique. Son usage dans les jeux pour enfants semble même en recul.

Interrogé sur le sujet, Bruno Cathala, auteur de jeu de société à succès depuis vingt ans, explique « Je n’ai pas le sentiment que le progrès technique ait modifié en quoi que ce soit mon approche de la création ludique. Je suis globalement plutôt friand de nouvelles technologies mais jusqu’à aujourd’hui elles n’ont pas impacté mes créations ou déclenché d’envie particulière ».

Les solutions technologiques font partie de la boîte à outils des autrices mais combien de jeux n’existent que grâce à elles ? Combien de [kosmopoli:t], de Keyforge ou de Chronicles of Crime ? Pour quel volume de vente ? Les révolutions de game design (le legacy), l’émergence de nouveaux genres (le deckbuilding), les tendances (les roll & write), qui façonnent l’industrie sociétoludique tuile après tuile, sont incroyablement traditionnelles dans leur approche matérielle et technique. Le jeu de société se modernise par l’inflexion des pratiques et des goûts ludiques, pas par l’intégration de nouvelles technologies.

Bruno Cathala, toujours, voit davantage la technologie comme un renfort, un outil en soutien de certaines initiatives de création bien particulières. Il cite « L’intelligence artificielle top niveau conçue pour Mister Jack Pocket qui joue cent parties contre elle-même chaque nuit pour calibrer les paramètres de jeu » ou encore « le portage numérique sur BoardGameArena du prototype Insert pour démontrer son intérêt aux éditeurs ».

La question se pose donc crument. Pourquoi le terrain de jeu des nouvelles technologies bouleverse aussi peu l’essence du jeu de société ? Est-ce que le jeu de société se suffit à lui-même ? Est-ce qu’il craint de perdre son identité en adoptant des technologies récentes ? Ou cherche-t-on encore les avantages techniques qui révolutionneront sa conception et sa pratique ?


Crédits photos : Photo de Pok Rie provenant de Pexels / Photo de olia danilevich provenant de Pexels

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