Le sens du détail : Les bornes de Schotten Totten

Dans cette série de billets, je zoome sur un élément de jeu, en apparence anecdotique mais qui révèle un joli sens du détail.


Cet épisode de la série « Le sens du détail » est un peu particulier car il expose ce qui d’après moi est une occasion ratée.

Ce que prévoit la règle de Schotten Totten

Dans Schotten Totten (Reiner Knizia, 1999, réédité par Iello), les deux joueuses incarnent chacune la cheffe d’un village écossais dans une guerre territoriale. Le sujet de l’affrontement : des bornes marquant les frontières du village.

Concrètement, neuf tuiles Bornes sont placées entre les joueuses. Celles-ci vont poser successivement une, deux puis trois cartes face à chaque borne pour tenter de réaliser une meilleure combinaison de cartes que la joueuse adverse.

On arrive au point qui m’a toujours semblé surprenant et une occasion ergonomique ratée : la revendication d’une borne. Quand une joueuse a posé trois cartes et peut prouver que sa combinaison ne pourra plus être battue (et ceci que la joueuse adverse ait déjà joué ses trois cartes ou non), elle se saisit de la tuile Borne et la place de SON côté de la frontière.

Un brelan de 5 pour revendiquer une borne

L’occasion ratée du sens du détail

C’est ce simple geste que je propose de revoir et d’inverser. Il serait beaucoup plus logique, thématique et engageant à mes yeux de se saisir d’une tuile borne gagnée pour la placer chez l’adversaire !

Je prends cette tuile gagnée et BOUM, je la repousse chez toi.

Je m’explique.

Bonus thématique

D’abord thématiquement, l’introduction de la règle explique que le but de toute cette manœuvre est d’étendre le territoire de son village et pour cela de faire « rouler [les bornes] juste un peu vers le village voisin ». Si vous souhaitez étendre les frontières de votre village il faut en effet repousser les bornes vers l’extérieur, pas l’inverse.

Bonus ergonomique

La règle prévoit ensuite que lorsqu’une borne a été gagnée, l’adversaire ne peut plus jouer de cartes pour cette borne. Car en effet dans Schotten Totten, il est tout à fait possible de revendiquer une borne avant que l’adversaire ait joué les trois cartes normalement requises. Il suffit pour cela de prouver qu’avec les cartes restantes à jouer il lui sera impossible d’égaler ou dépasser la valeur de la combinaison réalisée par la prétendante. C’est une manœuvre très intéressante car non seulement la borne est définitivement gagnée mais on limite aussi les lieux où l’adversaire peut poser les cartes qui encombrent sa main.

En posant une tuile borne gagnée sur les cartes de l’adversaire plutôt que de son propre côté, on matérialiserait ainsi le fait qu’il est désormais impossible pour elle d’y ajouter des cartes. La lecture du jeu est ainsi (un peu) facilitée. C’est un bonus ergonomique.

Bonus d’engagement

Enfin, Schotten Totten est un jeu d’affrontement. On épie son adversaire, on s’expose, on réplique et on croise les doigts pour obtenir la bonne combinaison avant son adversaire. Mais c’est un affrontement en chien de faïence. On compose sa combinaison face à l’adversaire mais sans occasionner de pertes chez elle. Concrètement aucune carte n’est détruite. Chacune reste de son côté de la frontière, dans son territoire.

Se saisir d’une tuile Borne pour venir la poser chez son adversaire serait un geste symbolique fort. Une agression. D’un coup, l’affrontement se matérialise par une invasion de mon territoire de jeu. Sacrilège ! Je me dois de réagir.

Cette troisième raison à elle seule aurait fait, à mes yeux, un savoureux sens du détail éditorial. Elle aurait su utiliser le caractère matériel du jeu de société et les zones implicites du jeu pour renforcer son thème et ses mécaniques grâce à la signification d’un simple geste.

Triple bonus

Sans aucune modification de mécanique ou de matériel, avec cette manipulation revisitée, on gagne à mon avis sur trois tableaux :

  1. L’adéquation au thème ;
  2. L’ergonomie en facilitant la lecture du jeu ;
  3. L’engagement en matérialisant la conquête territoriale.

Une occasion ratée donc.

On peut se demander pourquoi cette idée n’a pas séduit les autrices et éditrices de jeu, même dans les rééditions du jeu. Je ne vois que deux pistes d’explication. Soit parce que gagner quelque chose (ici une tuile Borne) est intuitivement compris comme se l’accaparer et que les conceptrices du jeu craignaient que ça soit contre-intuitif. Soit parce que justement l’affrontement se devait de rester feutré et chacun chez soi.

La règle du jeu serait alors à reformuler en « Une joueuse a repoussé trois Bornes adjacentes chez l’adversaire ou repoussé cinq Bornes en tout ».

Est-ce que vous appliquiez déjà cette manière de faire ? Le ferez-vous désormais ou voyez-vous un inconvénient à cette pratique ? À vous de me dire.


Le matériel de jeu et les extraits de la règle sont la propriété intellectuelle de la sociétés d’édition Iello.


4 réponses à “Le sens du détail : Les bornes de Schotten Totten”

  1. Zod dit :

    Belle réflexion! Nous saluons bien bas la justesse du discours. C’est quand même un vieux jeu , il faut l’excuser .

    • acariatre dit :

      Merci à vous !
      C’est un vieux jeu mais sa réédition moderne aurait pu intégrer cette subtile différence. Sachant que suite à mon billet, j’ai eu de nombreux retours de joueuses qui jouent déjà comme ça donc c’est forcément venu aux oreilles de l’éditeur.

  2. C’est une excellente idée que nous appliquerons dès nos prochaines parties.

    Je ne sais pas si ce genre de retour vous intéresse et si ce n’est pas le cas, ignorez ce qui suit ce n’est pas très important, mais il me semble que « cette idée n’a pas séduite les autrices » devrait être « cette idée n’a pas séduit les autrices ».

    Bravo et merci pour le blog que je découvre et toutes ces analyses poussées qui annoncent de bonnes lectures à venir.

  3. acariatre dit :

    Merci pour ce gentil commentaire.

    Je prends tous les retours, même orthographiques, c’est corrigé !

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